Suite de votre roman feuilleton !
C’est l’Avent. Adagio travaille dur à l’Ecole royale militaire, mais il a souvent une pensée pour ce Dieu qui va venir, qui est venu, qui vient, qui est. Qui est là dans notre âme et même dans notre corps par l’Eucharistie…
Après l’entraînement physique qui a lieu chaque après-midi, les élèves ont une heure de repos avant le dîner. Adagio se retire dans sa chambre, passant par le grand escalier où se trouvent les boîtes aux lettres des étudiants.
- Chic ! Trois lettres pour moi. Heureusement que Paurbin ne fait suivre que le courrier personnel, ou presque… Une lettre d’Augustin, une de je ne sais quel prince ami, et… un timbre de Russie, chic ! C’est peut-être Simon… Oui, c’est bien son écriture.
Gravissant rapidement les marches séculaires, le roi décachette l’enveloppe. Un élève le croise à toute vitesse, des bottes fraîchement cirées à la main ; il lance avec une joyeuse ironie :
- Alors, Majesté, du courrier ?
Adagio lui lance un regard qu’il veut noir, mais ne peut s’empêcher de répondre en riant :
- Oui, cher sujet !
Puis, arrivé dans sa chambre, il déplie les feuillets qu’il déchiffre :
« Moscou, le 29 novembre 20**
Majesté, alias mon vieil ami Eudes,
Comment se porte Son Altesse dans sa royale école ?
En ce qui me concerne, j’ai une magnifique nouvelle à vous annoncer : mes recherches sur les sandales du Christ avancent ! En effet, j’ai découvert le nom du soldat qui les a dérobées dans la cathédrale d’Antania en 1944 !
En fait, je me promenais dans un vieux quartier de Moscou, le long de la Moskova, soufflant un peu après de longues heures de travail, quand je suis tombé sur une librairie ; jetant négligemment un coup d’œil sur les derniers ouvrages sortis, entre un roman à l’eau de rose et un essai philosophique, je vis les mémoires d’un soldat russe.
Je me dis : « Il y a une chance sur mille pour que j’apprenne quelque chose sur l’identité du soldat voleur de reliques… Comme il y a une chance sur mille - et même davantage - pour qu’il soit allé faire la guerre à Antania… Mais… Qui ne risque rien n’a rien, et puis après tout j’apprécie tout ce qui est expérience humaine et historique… Et ce n’est pas cher, quelques roubles, allez hop ! Je l’achète. »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Le soir même, je me plongeai dans ce bouquin, n’y croyant pas trop cependant. Je découvris l’enfance de ce cher homme nommé Rouslan Nikolaïevitch Evgarev, et puis ses batailles… Non, il n’a pas été à Antania… Dommage… Quand soudain, que vis-je ? Ce fameux mot : Antania ! Je clignai des yeux, posai le doigt sur la page, déchiffrai cette phrase : « En buvant un peu de vodka, mon vieux cousin Boris et moi parlions de nos aventures communes, puis de celles que nous n’avions pas partagées. Ah, l’épopée de l’Armée rouge… Puis il déclara : « Sais-tu que j’ai été dans ce petit pays nommé Antania ? Hélas, ils nous ont échappé, Dieu sait comment… Sans doute parce que nous étions peu, un contre vingt peut-être : les civils étaient armés jusqu’aux dents. Enfin tout cela est fini et bien fini. Même si nous avons fait bien sûr quelques dégâts : un de mes amis, le jeune Anton, a entre autres dérobé une relique dans la cathédrale. Beaucoup des nôtres sont morts. Et… » Je m’arrêtai là, Sire. C’en était assez pour moi.
Il me fallait trouver l’adresse de l’auteur. Peut-être ainsi, de fil en aiguille, aurais-je pu retrouver ledit Anton. Anton, c’était déjà beaucoup, c’était un prénom. Je pianotai sur Internet, tapant le nom de Rouslan Nikolaïevitch Evgarev : pas d’adresse, même électronique. Je cherchai le numéro de téléphone de l’éditeur, et, bien qu’il fût dix heures du soir, je me risquai à appeler : bien entendu, les bureaux étaient fermés.
Je rongeai mon frein jusqu’au lendemain, dormant mal et craignant que mes espoirs fussent vains. Dès neuf heures, je rappelai l’éditeur, demandai les coordonnées de l’auteur. Ils consentirent à me donner son adresse : j’eus la surprise de voir qu’il habitait à deux pas de mon appartement – car comme tu le sais je ne loge plus à l’ambassade -, en face du Musée des Beaux-Arts Pouchkine. J’enfilai mon caban en quatrième vitesse et dévalai les escalier jusqu’en bas, puis m’arrêtai un instant : qu’allais-je dire à cet homme, s’il était chez lui ? Que je recherchais l’adresse du « jeune ami » de son propre cousin Boris ? Mais il fallait trouver un alibi à cette indiscrète question. Il ne fallait pas mentir pour autant, ni dévoiler ma véritable mission, restée secrète.
Après quelques instants de réflexion, je me présentai donc chez ce vénérable vieillard qui par chance était chez lui, fumant une cigarette… russe (hahaha). Je soignai particulièrement mon russe pour lui dire :
- Pardonnez-moi de vous déranger, Monsieur. J’ai lu votre livre, ou plutôt j’ai commencé à le lire, avec un vif intérêt. Habitant moi-même en temps normal à Antania, je fais des recherches sur l’histoire de mon pays pendant la seconde guerre mondiale. J’aimerais beaucoup rencontrer votre cousin Boris qui je pense pourrait m’apporter d’amples informations sur la question.
Bien entendu, il me fallut réentendre de lui à peu près ce qu’il savait sur la question, et plus largement sur ses autres campagnes et exploits militaires. Cela prit deux heures, mais réflexion faite, j’ai goûté le meilleur thé de ma vie. Compliments à la cuisinière.
Blague à part, il me donna enfin le numéro de téléphone de Boris. Je l’appelai dès que je fus rentré chez moi, mais je n’entendis au bout du fil qu’une voix plaintive, qui me disait que « Monsieur était parti à l’hôpital quelques jours auparavant, et qu’il n’en avait sans doute plus pour très longtemps. » Je fus ennuyé. Fallait-il y aller, quitte à paraître dénué de désintéressement face à un mourant ?
Je me décidai toutefois : « S’il mourrait… Tout serait perdu, la piste, l’unique piste depuis des mois, serait perdue à jamais. » Et après tout, je pouvais sans mentir affirmer que je venais là de la part de son ami Rouslan qui m’avait dit de lui passer le bonjour.
Je pris la direction de l’hôpital, et quelques minutes plus tard, arrivai devant la chambre dudit Boris. Il me fallut attendre que Monsieur ait terminé sa transfusion. Enfin, je pus lui parler, après quelques phrases polies et, pour le coup, sincères.
- Votre cousin Rouslan qui a écrit un livre évoque une de vos discussions dans laquelle vous parliez de votre passage à Antania en temps que soldat, il y a maintenant plus de soixante-cinq ans.
- Ah oui, vous savez, petit, que la guerre, c’est…
Et blablabla et blablabla, Sire, si j’ose ainsi m’exprimer. Vous pensez sans aucun doute que je manque de respect. C’est sans doute un peu vrai, mais si vous saviez ! Ce respectable vétéran, malgré son indisposition, avait toute sa tête, et une langue très déliée. Une demi-heure plus tard, alors que la visite était censée toucher à sa fin, je pus en placer une :
- Vous rappelez-vous du nom du jeune soldat qui subtilisa la relique de la cathédrale d’Antania ?
- Parfaitement : Anton, Anton… Euh, Anton… Enfin, ce que je sais, c’est qu’il a déménagé à Antania assez récemment.
L’infirmière informa :
- La visite est terminée, Monsieur.
Je paniquai :
- Vraiment ? Mais… Vite, Monsieur, vous ne vous souvenez plus de son patronyme ? Avez-vous son adresse ? Non ? Et sa date de naissance ? Il… Quel âge avait-il en 1944 ?
- Vingt ans environ, répondit le vieil homme.
On me mit dehors. Je dus me contenter de ces informations : Anton, habitant à Antania, né logiquement vers 1924.
Que faire, Majesté ? Vous avez sûrement plus de droits et de possibilités pour connaître les coordonnées de cet homme. A vous de jouer !
Je vous salue bien amicalement,
Votre dévoué serviteur (hi !hi !hi !),
Simon Répale »
Le roi range la lettre. Il sait bien ce qui lui reste à faire dans l’accomplissement de cette mystérieuse mission, de cette quête, non pas du Graal, mais des Sandales…
Il appuie d’un geste familier son front contre la vitre.
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