Monsieur le Président de la République,
L’Art d’aimer d’Ovide a été imposé par votre Ministère de l’Education nationale comme œuvre unique pour l’épreuve écrite de latin au baccalauréat cette année. Cela signifie en pratique que les élèves de terminale consacreront l’essentiel de leurs heures de latin à cette œuvre, pour s’assurer d’obtenir un maximum de points lors des épreuves.
Nous souhaitons vous dire notre profond désaccord avec ce choix qui nous semble malheureux pour quatre raisons principales :
- Il n’est pas bon d’imposer un programme obligatoire composé d’un nombre réduit d’œuvres (et a fortiori d’une œuvre unique) parce que cela conduit automatiquement les élèves à se spécialiser, alors que ces futurs adultes ont besoin avant tout d’acquérir une culture générale aussi large que possible. La mission du lycée est généraliste. Ne condamnons pas les lycéens à un bachotage stérile !
- L’Art d’aimer d’Ovide est loin d’être un texte fondamental de la littérature latine, alors que nous devons transmettre en priorité aux jeunes générations la connaissance des chefs‑d’œuvre majeurs de notre culture, ceux-là mêmes qui ont façonné notre civilisation. Etudier un texte secondaire n’a de sens que si les classiques sont maîtrisés préalablement.
- Mettre au programme une œuvre unique obligatoire, c’est nier la liberté d’enseignement des professeurs. Or ces derniers ne sont pas des agents d’exécution. Ce sont des hommes et des femmes libres et responsables. Sans liberté, l’acte même d’enseigner est dénaturé. Et la liberté d’enseignement, principe de valeur constitutionnelle, est une liberté consubstantielle à tout état de droit. L'administration n'a pas à définir à coup de publications au bulletin officiel le détail de ce que le professeur doit enseigner dans sa classe, au-delà de la définition du programme d’étude général.
- Enfin, L’Art d’aimer d’Ovide est un véritable anti-manuel de l'Amour, où le mensonge, le cynisme et la violence à l'égard des femmes ont toute leur place. A l’âge où les jeunes sont en pleine formation morale, c’est un signal malheureux que leur envoie l’institution scolaire, d'autant que la même année, en français, Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos figurent au programme imposé. Rappelons que le rôle de l'institution scolaire - a fortiori quand elle est étatique - est d'instruire, dans le respect des bonnes mœurs et de la liberté d’éducation des familles.
En conséquence, ce programme de latin étant emblématique de tendances lourdes à l’œuvre dans l’Education nationale, nous vous demandons, Monsieur le Président, de faire en sorte, dès l’année scolaire prochaine, et dans le cadre de la réforme du lycée que vous préparez :
- Que le lycée renoue avec sa vocation généraliste ; pour cela il faut cesser de fixer des programmes aussi étroits (que ce soit en latin, français ou dans les autres matières du lycée);
- Que l’institution scolaire se fixe pour objectif prioritaire de donner une solide culture générale humaniste ; pour ce faire, les professeurs doivent être encouragés à étudier les chefs‑d’œuvre de notre civilisation, non à rechercher l’originalité à tout prix ;
- Qu’un meilleur respect de la liberté des professeurs soit assuré (au lieu de leur dicter ce qu’ils ont à faire) et qu’en contrepartie l’institution les tienne pour comptables des résultats de leurs élèves, en tenant compte bien sûr du niveau de départ des élèves et du contexte d’enseignement.
- Que les œuvres étudiées respectent la pudeur des lycéens et la liberté éducative des familles, et que par leur qualité intellectuelle, elles aident les jeunes à apprendre « leur métier d’homme ».
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