par Néel de Néhou
Le silence. Une famille de femmes emmurées dans le silence. Voici ce qu'a retenu du procès Courjeault, le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade, qui nous a livré hier soir une sorte de documentaire, appellation qui évoque une vertu républicaine sacrée : l'objectivité.
Oui, cette objectivité, ce recul, vous savez ? Celui qui est sensé construire un bon journaliste-reporter, mais qui ne signifie hélas, pour les propagandistes inventeurs d'opinions publiques, que façonner à leur guise, l'opinion des pauvres ignorants que nous sommes.
« J'aime les gens qui doutent », chantait Anne Sylvestre bien à propos, en cette sainte période soixanthuitaine, où l'on acheva de remplacer les convictions par le doute, la justice par le droit individuel, le don par le « moi, je ». Oui, on ne peut désormais que douter.
Douter de la légitimité de vies humaines, observées au microscope dans une politique de transgression de la science, dans l'optique mensongère de sauver d'autres vies, qui, elles, vaudraient plus que d'autres.
Douter de la capacité d'un mère en détresse, d'aimer convenablement son enfant, si le contexte n'est pas parfaitement conforme aux exigences aux lois de consommation.
Douter de la capacité au bonheur de ces enfants dépistés à risque de malformation ou atteints de maladies génétiques.
Le procès de Véronique Courjeault n'en est pas un : pauvres idiots que nous sommes, les journalistes nous disent « attention, ne vous trompez pas ! Il ne s'agit pas d'un procès, mais d'un débat ! ». On sait ce que cela signifie. Il faut « se remettre en question », douter de soi, de ses convictions. Après tout, reprenons tout à zéro : et si Véronique Courjeault n'avait pas fait exprès de commettre ces meurtres ? Et si c'était elle, la vraie victime ?
Toutes les souffrances représentent-elles un réservoir d'excuses potentielles en cas de transgression de la Loi ? Est-on coupable lorsque l'on souffre, de transformer sa douleur en haine, et dans ce cas, jusqu'où peut-on pardonner au nom de la souffrance ?
En ce qui me concerne, la vie en communauté m'a donné un certain mal, des difficultés, des souffrances, m'ont donné du fil à retordre avec les autres, me permettant des accrocs à la Charité ou au pardon, des erreurs et des refus de responsabilité dûs à mes engagements. Jusqu'au jour où j'ai reçu une parole de bon sens, qui est certes, facile, mais responsabilisante : « si les erreurs peuvent s'expliquer, on ne peut forcément les excuser ». En effet, parfois, on souffre, mais on va trop loin. Parfois, les causes de nos erreurs légitiment le pardon de nos frères, mais ne peuvent en libéraliser la pratique. Le monde sait et connaît les tribulations auto-destructives du désespoir. Est-il pour autant condamné à se détruire, sommes-nous condamnés à survivre au détriment des plus faibles ?
Ils étaient trois petits enfants. Véronique Courjeault les a supprimés. Mais il s'agissait d'enfants non désirés, dépourvus de projet parental, nés dans un contexte défavorable, des « tumeurs humaines », selon le Docteur Nisand :
"Il ne suffit pas d'être enceinte pour attendre un enfant", souligne-t-il. "S'il n'y a pas de parole, il n'y a pas d'enfant, il y a de la tumeur humaine". (le Docteur Nisand parle ici de ce qu'interprète la femme en déni de grossesse ).
La grossesse n'étant pas nommée, reconnue, la femme souffre donc de déni de grossesse. Des mots très forts, qui frappent, interrogent, font douter : cette mère infanticide est-elle une coupable, ou une victime ? Que de conditions met-on aujourd'hui au droit à naître ! Que de conditions oppressent les parents souhaitant avoir un deuxième, ou un troisième enfant ! Que de diktats au soi-disant bonheur ! Pour vivre, il faut faire preuve d'aptitude à la jouissance, d'une aptitude optimale à en profiter, parce que pour eux, la vie, ce n'est que ça ! Il est interdit d'interdire, il est obligatoire de jouir, de profiter, de s'octroyer le maximum de plaisir. Et pourquoi se priver de vérifier si tout un chacun en est bien capable ? La science le permet...
Véronique Courjeault est donc victime de sa souffrance psychique, son « déni de grossesse ».
Victime, bien sûr, nous autorise gracieusement à penser ce téléfilm. Victime parce que souffrante, et surtout, solitaire, silencieuse. Pourtant, ne nous dit-on pas également qu'elle est par ailleurs une Maman comblée ? Une Maman aimante ? Comment juger si sa famille ne rassemblait-elle pas tous les critères exigés par l'opinion médiatico-publique pour « réussir son projet d'enfant » ?
Quelles auraient été alors, les conditions à réunir, pour que ces trois enfants puissent avoir le droit de vivre ? Le déni de grossesse est une bonne parade explicative, une note à rajouter au dossier de l'institution républicaine. Déni de grossesse, oui, mais déni d'accouchement ? Les enfants ne sont-ils pas finalement nés, donc rendus au réel ? D'après les ouvrages de psychologie, les mères enceintes rêvent leur enfant, elles l'imaginent. Il s'agit de « l'enfant imaginaire ». Et cela va du fait d'imaginer un bébé rose et joufflu, quitte à être un peu impatientes ou déçues même, lors des premières échographies, aux souvenirs plus ou moins douloureux, qui vont faire d'elles peu à peu, les mères qu'elles deviendront en mettant au monde ces mêmes enfants, la naissance rendant ainsi à l'enfant sa liberté d'exister par lui-même et pour lui-même, au-delà des fantasmes ou des névroses de sa mère.
L'enfant à naître n'est pas plus un projet qu'une matière.
Cela ne peut être dit sans nous rappeler l'histoire du bourreau soviétique frappant un homme prisonnier. L'homme, n'en pouvant plus, tente de faire appel à l'être humain, ce fameux être humain dont on nous vante le côté naturellement bon, même défiguré par la haine, et dans un ultime effort, il s'adresse à lui : « Mais pourquoi continues-tu à me frapper ? Ne vois-tu pas que je souffre, que tu me fais du mal ? ». Le bourreau répond : « Je suis matérialiste. Pour moi, tu n'es que de la matière. Te frapper, c'est comme frapper cette table, ou cette chaise. »
Les embryons surnuméraires employés comme de la matière à expérimentation scientifique, parce que démunis de leurs papiers assurant le « projet parental sur eux », des embryons avortés parce que dépistés à risque de maladies ? Des risques pas pris, de vagues projets abandonnés, des attentes niées, comment va-ton appeler cela ? Quel mot va-ton inventer, pour surtout ne pas juger, ne pas accuser ? Pour être sûr de laisser un doute, un doute sur ce sang, qui a pourtant été répandu, là, devant nous, mais qui peut-être finalement n'en est pas ? Un doute sur ces membres arrachés, utilisés à des fins scientifiques et commerciales, qui peut-être, n'en sont pas vraiment ? Quelles sont les conditions requises pour aimer contre toute attente ?
Enfin, qui nous montrera comment prendre tous les risques, au nom de la vie ?
Ce soir, en ce 8 décembre, des millions de lumières resplendiront de tous leurs feux, chantant la gloire du Christ Sauveur par son Immaculée Conception, les millions de petites lumières de ces enfants non-nés ou pas encore nés, abandonnés au jugement d'un procès d'un monde, en déni de lui-même.
En effet, pour avoir vu quelque minute de ce téléfilm, la prise de position du réalisateur était claire... et dangereuse, comme vous l'avez si bien expliqué, Néèl.
Rédigé par : Jeanquirit | 08 décembre 2009 à 21h13