par Mathieu Bédard
Le débat actuel autour de la réduction des émissions de CO2 ne prend
pas en compte les effets pervers des politiques publiques qui sont en
train de se mettre en place pour les combattre. Alors que la poursuite
du réchauffement climatique pourrait faire peser certains risques sur
les pays du sud, et tout particulièrement les pays pauvres, certaines
politiques publiques qui seront étudiées à Copenhague les exposent à
des risques bien plus grands. Le développement du Sud serait en effet
sacrifié sur l’autel d’un réchauffement climatique d’origine
hypothétiquement anthropique (pour des résultats négligeables dans la
lutte contre ce réchauffement qui plus est).
L’une des mesures négociées au sommet de Copenhague est
l’instauration de droits de douane sur le CO2. En effet, depuis déjà
plusieurs mois il se discute la taxation des importations provenant des
pays avec des réglementations CO2 moins sévères. Pour convaincre les
dirigeants des PED d’accepter une politique aussi dévastatrice pour
leur croissance et développement, un autre des mécanismes importants
est discuté durant ce sommet : les transferts des pays riches vers les
pays pauvres.
Les droits de douane environnementaux sont annoncés comme
complémentaires aux taxes carbone internes et autres permis négociables
actuellement en discussion. Ces « droits de douane carbone » (défendus
par le Président Sarkozy au niveau européen, et débattus au Congrès
américain, ainsi qu’en Australie, en ce moment même) seraient mis en
place pour ne pas désavantager les pays ayant adopté une taxe carbone.
La principale crainte, et c’était l’objet du rapport Keller de juin
dernier remis à l’UE, est la fuite des emplois vers des juridictions
plus permissives en matière d’émissions carbone. Ce mécanisme devrait
être efficace pour… condamner les PED à la pauvreté.
Au bas mot, le sort d’environ 4 milliards de personnes dépend du
commerce international pour espérer voir leur condition s’améliorer. Ce
nouveau protectionnisme les empêchera donc dans une large mesure
d’échanger avec les pays (riches) adoptant une taxe carbone aux
frontières. Ces pays du sud subiront donc une isolation économique
encore plus grande du fait de ce protectionnisme carbone. Leur
industrialisation est ainsi fortement compromise du fait de leur
impossibilité d’accéder réellement aux marchés du Nord. Et le
protectionnisme agricole européen et américain empêche déjà les PED du
Sud d’exploiter leur avantage comparatif agricole. La taxe carbone aux
frontières est donc le chemin vers un sous-développement avancé du Sud.
Le contre-argument des tenants de Copenhague est ici que le système
de compensation permettra à ces pays d’innover en technologies à faible
carbone. En effet, pour rallier les pays pauvres, le sommet de
Copenhague précisera les bases du système de transferts entre pays
riches et pays pauvres pour mitiger les émissions de CO2. C’est ce que
vient de détailler par exemple le Plan Justice Climat du Ministre
Borloo, qui parle de 410 milliards de dollars sur 10 ans, financés par
des taxes mondiales (taxe carbone mondiale, taxe Tobin, taxe maritime,
taxe sur le baril de pétrole) et par un fonds dédié alimenté par les
pays riches. Mais ce contre-argument tient-il ?
Ces transferts posent en effet de graves problèmes. Ils
utiliseraient des canaux identiques à ceux de l’Aide humanitaire
internationale actuelle, dont l’efficacité est très contestée,
notamment du fait de la corruption à laquelle elle donne lieu. C’est un
problème majeur en économie du développement : des spécialistes de
l’économie de l’Aide humanitaire comme William Easterly expliquent
qu’on ne connait toujours aucune manière satisfaisante de s’assurer que
l’Aide des États profite réellement aux nécessiteux et aux projets les
plus efficaces et urgents. Selon l'OCDE, les nécessiteux ne voient que
50 centimes sur chaque euro d'Aide. Mais on peut craindre que cette
évaluation soit très optimiste.
Ainsi, l’aide internationale depuis un demi-siècle représente 2300
milliards de dollars, dont près du quart officiellement pour l’Afrique
avec un résultat catastrophique. Parce que dans de nombreux pays
l’argent de l’aide a une fâcheuse tendance à disparaître et à ne pas
atteindre les plus nécessiteux. Cela s’explique par les incitations
bureaucratiques d’un côté comme de l’autre du tunnel de l’aide, ainsi
que les problèmes d’information sur quelles urgences traiter... avec
l’argent qui reste. Ces aides au développement durable seront
attribuées de la même manière et… atterriront donc probablement dans
les mêmes comptes en banque en Suisse ou dans les poches de riches
bureaucrates d’organisations internationales.
Certains mécanismes d’aide mis sur la table permettraient par
ailleurs aux pays de récupérer des « crédits carbones ». C’est donc
dire qu’un pays riche réalisant un investissement dans une technologie
propre dans un pays pauvre pourra s’affranchir de ses promesses de
réduction de production co2. Comment aller vérifier que les
investissements ont bien été réalisés de manière pérenne ? Comment
éviter la corruption ici aussi ? Aucune piste de réflexion réaliste ne
semble s’attaquer à ce problème de taille. Il s’agit tout bonnement de
la construction d’une autoroute de la corruption pour acheter l’accord
des dirigeants des pays pauvres.
Le bilan de ces propositions fait émerger une situation assez surréaliste : les populations pauvres des pays pauvres verront leur
production se heurter à des droits de douane, ne toucheront qu’une
infime partie de la contrepartie financière qui leur est destinée, et
seront tenues de suivre un sentier de développement écologique que même
les pays riches n’ont pas encore su trouver ! Le fantôme de l’aide
réapparait pour donner une tonalité de bonne conscience et de justice,
mais pour paraphraser Shakespeare, il semble qu’en réalité il y ait
quelque chose de pourri au royaume de Copenhague.
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