Eric BESSON vient de lancer le débat sur l’identité nationale. Nous saluons cette initiative de nature à nous faire réfléchir et travailler sur ce qui fait notre identité. Nous nous méfions cependant des intentions qui peuvent se cacher derrière ce débat. En effet, nous avons entendu Monsieur Besson à plusieurs reprises identifier les valeurs de l’identité nationale aux valeurs de la république laïque et prôner le nécessaire avènement d’une société multi culturelle. D’où notre contribution au débat par cet édito et par des documents en ligne sur notre site « rubrique « Politique et Société ».
La NATION, COMMUNAUTE DE DESTIN
La nation, du latin natus, exprime l’idée de naissance et donc de filiation, de descendance. C’est la succession des hommes de la patrie dans le passé, l’avenir et le présent. La communauté des héritiers, l’innombrable communauté des vivants, des morts et des enfants qui sont appelés à naître. Ce qui caractérise la nation, c’est la conscience d’un "nous commun" ; alors que la patrie se rapporte à l’héritage que nous avons reçu de nos pères, la nation concerne plutôt les héritiers, la communauté vivante des générations qui se transmettent et gèrent l’héritage reçu en dépôt.
Une nation n’est pleinement nation que si elle fait vivre cet héritage, si elle l’enrichit, et elle est fidèle en somme à sa patrie (patrimoine). Jean Ousset l’a fort bien démontré dans "A la semelle de nos souliers" [4]. Il y a des patries pauvres marquées par une histoire modeste, un passé sans éclat, un unique héritage, mais défendues par des nations généreuses, comme il y a des patries magnifiques dotées d’un patrimoine d’une richesse infinie, desservies, ruinées par une nation qui a perdu le sens de son héritage. Ainsi que l’écrivit Thucydide : "La force de la Cité n’est pas dans ses remparts ni dans ses vaisseaux, mais dans le caractère de ses hommes".
C’est cela la nation.
La nation est un bienfait
Elle est un bienfait tout simplement parce qu’elle répond au besoin de vie sociale de tout individu.
La famille n’étant pas en mesure d’assurer, seule, son épanouissement matériel et spirituel, l’homme doit faire partie d’une société plus importante et plus complète. Et c’est la nation qui constitue la plus vaste communauté naturelle au sein de laquelle il puisse vivre en harmonie avec ses semblables. Il n’existe pas de lien plus solide, en dehors de la famille, que la cohésion et la solidarité nationales, de lien plus fort que cette "quantité de correspondances intimes et de réciprocités invisibles par quoi s’accomplit le mystère de l’union profonde de millions d’hommes" [19].
Aussi, en dépit de ce que nous entendons ici et là, devons-nous ne pas nous effrayer de ce réveil des nations en Europe et ailleurs. Les nations sont des amitiés, des familles de familles et, dans le désordre grandissant du monde actuel, elles représentent un facteur d’unité et de stabilité.
Sauf à verser dans l’erreur jacobine, qui, faisant de la création une divinité abstraite de qui émane toute souveraineté, a engendré un nationalisme totalitaire qui a ensanglanté le XIXème et le XXème siècle. La nation n’est facteur de désordre et de division que lorsqu’elle est considérée comme un absolu. Il importe de préciser que, certes, dans une optique très différente et beaucoup moins nocive que celle des sanguinaires de 89, ce fut cependant le tort de certains auteurs contre-révolutionnaires de faire de la nation la valeur suprême.
Ainsi, si tant est que l’on respecte l’ordre des choses, la nation, loin d’être une arme contre le ciel ou "un absolu de substitution" selon l’exacte expression de Danièle Masson, est un palier naturel vers l’universel ; de même qu’elle n’étouffe pas les diversités provinciales mais les harmonise pour s’en enrichir, elle doit disposer les hommes d’un pays donné à participer aux biens supérieurs communs à toute l’humanité.
Car c’est par le singulier que nous marchons vers l’universel. Comment alors l’Europe supranationale qu’on est en train de nous bâtir pourrait-elle voir le jour ? Elle répond aux fantasmes unificateurs de gens qui, pour reprendre la formule chère à Gustave Thibon, veulent "dépasser avant d’avoir atteint". Leur ambition définitive étant de parvenir à réunir l’humanité sous l’égide d’un seul gouvernement mondial.
Ambition prométhéenne d’hommes qui veulent, en fait, refaire la tour de Babel et défier la loi divine. Car la nation, dont ils sont les négateurs, fait partie du plan de Dieu. Dieu a voulu la pluralité des nations.
Si donc les nations ont leur place dans l’économie du salut, le devoir de tout chrétien est d’oeuvrer en faveur de leur maintien et de leur consolidation.
Et pour nous, qui nous réclamons de la religion catholique, la nation est obligatoirement, de par le rôle que lui assigna Notre-Seigneur, un bienfait.
"Dans le récit biblique, on le sait, des hommes qui ne parlent encore qu’une même langue forment un projet démesuré : "Bâtissons une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux !". Ils renoncent ainsi, avec la promesse du serpent, au jardin d’Eden : "Vous serez semblables à des dieux". Lorsqu’il voit que les hommes cherchent ainsi à échapper à leur condition, et prétendent s’égaler à lui, Dieu sépare le genre humain par la confusion des langues. En ceci, il n’y a pas tant une punition que l’instauration d’un ordre dans lequel les hommes seront naturellement amenés à respecter l’humilité et à éviter la manifestation la plus diabolique de l’orgueil humain. La nation, héritière des "langues" de la Genèse, se situe ainsi dans la tradition d’une humilité salutaire. La nation est donc l’un des éléments externes voulus par la Providence pour un parfait épanouissement de l’âme.
Toute l’histoire de la Révélation montre d’ailleurs que la division du genre humain en nations et leur différence radicale est intégrée au Plan divin. Il fallait plusieurs peuples pour qu’il y eût un peuple élu, et il fallut que son identité fût faite pour qu’elle conservât, en dépit des faiblesses humaines, le dépôt que Dieu lui avait confié. Enfin, l’incarnation de Notre-Seigneur sanctionne mystérieusement la nation, puisque Dieu, se faisant homme, se fait aussi membre d’une communauté nationale et ne naît pas apatride ou citoyen du monde. La perfection de la condition humaine suppose donc l’appartenance à une nation" [20].
D’ailleurs, l’ordre donné par le Christ : "Allez, évangélisez toutes les nations" signifie que le cadre privilégié de l’évangélisation ce sont les nations. On comprend pourquoi Jean-Paul II, qui appelle à la Nouvelle Evangélisation, accorde une importance telle à la nation.
Lieu de sociabilité, tremplin vers l’universel, réceptacle de l’Evangile... la nation est source de richesses infinies. Mieux, elle est, pour citer le Saint Père, "ce qui fait en l’homme l’humain". Il nous appartient donc de la défendre et de la protéger.
La question est de savoir par quels moyens. Une doctrine de l’intérêt national s’impose-t-elle ? Autrement dit, la sauvegarde de la nation française aujourd’hui passe-t-elle nécessairement par une attitude nationaliste ?
Entendons-nous bien. Il y a nationalisme et nationalisme. Ce terme honni aujourd’hui par les représentants du "politiquement correct" recouvre des réalités très différentes, d’où une ambiguïté.
[4] "A la semelle de nos souliers", CLC, 1977.
[19] Paul Valéry, "Regards sur le monde actuel", Des nations, 1945.
[20] Xavier Saint Delphin - F.I.L., juillet-Août 1991.
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