selon Denis Tillinac (Valeurs Actuelles du 28 mai) :
"Les éditorialistes et les politiciens reprochent aux Français de ne s’intéresser que très
modérément aux élections européennes. (...)
J’irai voter, par principe, même si l’Union patine trop souvent pour mon goût dans la choucroute techno. (...).
En France, pour aggraver l’indifférence des citoyens, on a découpé des monstres suprarégionaux : à Saint-Flour,Cantal, on va voter pour les mêmes listes qu’à Vendôme, Loir-et-Cher. C’est grotesque. En outre, les partis dits de gouvernement casent leurs rossignols, pour les nourrir ou pour s’en débarrasser (...)
Au-delà de cette guignolade,une évidence s’impose que nos “officiels” ont du mal à admettre : le patriotisme européen n’existe pas dans l’âme des peuples et peut-être n’existera jamais. C’est ainsi. Si je prends mon modeste cas, à titre d’exemple, je découvre un système de patriotismes en cercles concentriques, où l’Europe n’a aucune part. Ma patrie intime(...), c’est mon village et ses prolongements dans mon imaginaire. Pas le département de la Corrèze, encore moins la région Limousin. L’histoire-géo de ces deux entités n’a aucune unité. Mon patriotisme tout court, c’est la France et rien d’autre. Néanmoins, en qualité de catholique, Rome est ma capitale spirituelle, je me sens chez moi quand je baguenaude autour du Vatican (...). Sur le plan géopolitique, je me sens occidental, donc aussi proche des Américains que des Européens. (...) Pour compliquer encore le jeu de mes proximités affectives, l’écrivain francophone que je tâche d’être a forcément plus de connivences avec un poète haïtien, libanais ou mauricien qu’avec un Norvégien ou un Croate. Ce qui n’empêche pas un minimum de cosmopolitisme culturel – juste un minimum –mais rend mon “identité” européenne vraiment sujette à toutes sortes de caution.
Elle existe cependant, dans l’ordre intellectuel et esthétique, avec une franche prédilection pour les paysages, les mouvements,les écrivains, les tours d’esprit français. Simplement, l’identité ne débouche pas sur un patriotisme.
La coupe de mes patriotismes étant pleine à ras bord, il n’y a plus de place pour l’Europe. Selon toute vraisemblance, nos compatriotes n’ont pas davantage que moi la fibre europhile. Ni les citoyens des autres pays membres de l’Union. Ils en perçoivent l’intérêt, leurs dirigeants en prennent ce qui les arrange et démagogisent sur les méfaits supposés des directives de la Commission ou sur les dysfonctionnements des instances pour occulter leurs inerties. C’est ainsi et, au fond, la pérennité des patriotismes nationaux n’a rien pour me déplaire. À condition toutefois de ne pas renoncer à cet objectif éminemment louable : un marché homogène et régulé au sein duquel les lois fiscales et sociales, les systèmes policiers et judiciaires, la dévolution des diplômes seraient les mêmes. Au lieu de se gargariser avec des “valeurs” qui les diviseront toujours, si tant est qu’ils y croient, les politiciens européens seraient avisés de s’atteler à cette tâche concrète."
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