Suite de votre roman feuilleton !
Chapitre IX. Laurence.
La Sérénade pour cordes en mi Majeur de Dvorak retentit dans la pièce. Le roi ferme les yeux, s’imprégnant de cette musique délicate.
Vingt-six décembre. Après de nombreuses festivités nationales, et profitant des congés de Noël autorisés par l’Ecole militaire, Adagio a pris quelques jours de repos chez ses parents. C’est-à-dire chez sa maman. Voilà bientôt un an que Monsieur de Saint-Jean a disparu. Mon Dieu, quel vide !
Ici tout rappelle sa présence. Ou plutôt son absence.
Soudain, la porte s’ouvre. Une voix féminine annonce joyeusement :
- J’ai fait quelques achats, et il est l’heure du thé, Adagio.
Le jeune homme bondit :
- Je le prépare. Zou !
Quelques instants plus tard, la mère et le fils s’accordent un moment de conversation.
- Tu ne me parles pas assez de ta formation théorique, déclare Blandine de Saint-Jean en souriant. Tes exercices pratiques, j’ai le droit d’en entendre parler en long et en large. Alors ?
- Eh bien… J’avais déjà abordé un certain nombre de notions avant d’entrer dans l’Ecole, entre autres ce qui concerne la défense. Mais mon professeur de philosophie est bien meilleur que celui que j’avais au Palais.
Sourire de la maman.
- Par ailleurs, nous pouvons faire un certain nombre d’exposés. Puisque je suis censé intégrer l’Armée de Terre en février, j’ai présenté une étude sur les stratégies offensives dans l’histoire. Vaste sujet. Aussi n’ai-je fait qu’une approche globale.
- Et qu’ont présenté les autres élèves ?
- Des sujets fort variés, depuis la notion d’honneur jusqu’à celle de la place d’Antania dans l’Europe, en passant par le génie d’Hannibal… Et puis, oui, il y a aussi mon ami Raphaël – tu sais, dont je t’ai parlé – qui a fait un exposé sur ce thème : « L’Etat chrétien, une notion dépassée ? »
- Ah, c’est intéressant ! Qu’a-t-il dit ?
- Je peux reprendre mes notes si tu le veux… Attends, je vais les chercher.
Une minute plus tard :
- Voilà : d’abord, il y existe deux pouvoirs : le spirituel – tout ce qui touche à l’âme – et le temporel – ce qui regarde la société. L’Eglise a pour but de guider les hommes vers les choses célestes, tandis que l’Etat est chargé de régir la société dans la recherche du bien commun. Mais la puissance temporelle est ordonnée à la puissance spirituelle comme les fins prochaines le sont aux fins dernières. Pie XI, dans l’encyclique Quas primas en 1925, résume en disant que l’Etat doit « tout entier se régler sur les commandements de Dieu et les principes chrétiens dans l’établissement des lois, dans l’administration de la justice, dans la formation intellectuelle et morale de la jeunesse ».
- Bien, bien…
- En revanche, ces deux puissances sont bien distinctes l’une de l’autre, indépendantes et autonomes. C’est la définition chrétienne de la laïcité, qui est cependant complétée par le fait, comme je viens de le dire, que le spirituel et le temporel doivent coopérer ensemble puisqu’ils sont tous deux au service de la vocation personnelle et sociale des hommes. C’est ainsi qu’est fondé l’Etat chrétien : ce n’est pas l’Eglise qui impose son pouvoir, mais l’Etat qui répond à son invitation à ordonner la société de façon à favoriser le salut des âmes.
Adagio compulse ses notes, reprend :
- Dans cette logique, l’Etat chrétien doit aller jusqu’à reconnaître que son autorité lui vient de Dieu et accomplir légalement les devoirs qui lui incombent de se conformer à la loi éternelle et à la loi naturelle. C’est là rendre un culte public à Dieu. Toutefois, le fait que l’Etat soit chrétien ne signifie en rien qu’il doive imposer aux citoyens de l’être ! Par ailleurs, la neutralité de l’Etat en matière de religion ne peut exister objectivement. En effet, chaque société est amenée à rechercher en elle-même ou à emprunter à des idéologies un système de valeurs auxquelles elle fera référence. Et… Ah mince, je n’ai pas la suite. Je vais voir où est passé le reste de mes notes !
Il va voir dans sa chambre, mais revient bredouille :
- Maman, je les ai justement prêtées à Raphaël qui voulait faire une synthèse de son travail. Tant pis… Quoique si tu veux, je peux aller les chercher chez lui, il habite dans la capitale et je crois qu’il est chez lui en ce moment !
- Pourquoi pas ? sourit la mère. Je suis impatiente d’approfondir ce sujet, et puis cela te fera plaisir d’aller chez lui !
- Je lui téléphone.
Quelques instants plus tard :
- Il est chez lui. Je reviens d’ici une heure, maman !
Un baiser rapide, le roi s’en va. Blandine ne peut s’empêcher de contempler avec une tendre fierté la silhouette qui s’échappe. Son fils, Dieu sait si elle a prié pour lui, et prie encore, chaque jour. Beaucoup d’enfants ignorent que leur maman prie pour eux. Ce n’est pas tant un bouclier protecteur qui les protégerait de toute attaque extérieure, mais plutôt une épée qui les aiderait à combattre l’ennemi, à affronter, plutôt qu’à éviter.
…
Au volant de la voiture parentale, Adagio se rappelle :
- A l’autre bout de la ville, rue de l’Ecureuil-Rieur… Bon, j’espère que je ne vais pas déranger toute la maison. Mais je suis bête, Rapha m’a dit qu’il y avait seulement sa grande sœur, et la femme de ménage.
Il arrive devant une maison à deux étages, frappe le lourd panneau de bois qui s’ouvre bientôt devant la face joyeuse de son ami, qui s’efforce cependant de faire preuve d’une certaine gravité :
- Majesté, quel honneur pour moi de vous recevoir dans cette humble demeure !
Rire de la part de l’Altesse royale :
- Pour la centième fois, pas de civilités inutiles ! Comment vas-tu mon vieux ?
A droite du couloir se trouve la grande salle de séjour, luxueuse avec son mobilier ancien et ce délicat parfum qui persiste dans cette pièce. Le grand sapin de Noël s’illumine régulièrement. Une personne vêtue d’un grand tablier est en train de laver le sol ; elle a un joli visage lumineux et semble pleine d’ardeur.
- La femme de ménage sans doute, pense Adagio sans se poser plus de questions. Ou la technicienne de surface, comme on dit aujourd’hui...
Et par une sorte de timidité mêlée d’un orgueil plus ou moins inconscient, il omet de la saluer. Si cela se trouve, elle ne sait même pas qui il est, lui le roi. Mais il se reprend :
- Ce n’est pas gentil, j’aurais dû lui dire bonjour. Enfin qu’importe, je le ferai si je la revois.
La chambre de Raphaël est envahie de livres, d’affiches, de maquettes et de drapeaux. Linge propre et linge sale s’entassent indifféremment. Le camarade du roi lui tend une liasse de feuilles :
- Voilà ce que tu cherchais Adagio. Mais au fait, tu n’as pas vu ma formidable collection de badges militaires !
- Non, mais tu m’en as si souvent parlé que je la verrais avec plaisir !
Et ainsi de fil en aiguille, de discussions en exclamations, les heures passent, et bientôt quelqu’un toque à la porte :
- Bonjour Majesté !
- Bonjour Mademoiselle ! La sœur de Raphaël je suppose ?
Un rire lui répond :
- Je suis sa mère, Sire.
Ledit Sire ouvre de grands yeux et répond spontanément :
- Vous paraissez si jeune !
- Son Altesse désire-t-elle rester dîner à la maison ? reprend Madame Dujols en souriant.
- Ce serait avec un grand plaisir ! Il me faudrait toutefois prévenir ma mère…
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