Le même jour. Dans son lit, Laurence s’étire et baille : déjà sept heures dix, il est temps de se lever.
Elle se met à genoux devant le petit oratoire placé juste à côté de son lit. Une très belle icône de la Sainte Trinité, une statue de la Vierge Marie pleine de tendresse, un crucifix, une bougie qu’elle allume et quelques fleurs artificielles, et tout est en place pour se mettre sous le regard de Dieu :
- Seigneur mon Dieu, je Vous adore de toute mon âme. Je crois en Vous, parce que vous êtes la Vérité même. J’espère en Vous, parce que Vous êtes infiniment bon, et je Vous aime par-dessus tout. Je Vous offre mon corps, mon cœur, mon esprit et ma vie, pour Votre gloire et le salut des âmes. Aidez-moi à faire Votre Volonté, avec amour. Je Vous confie ma famille et mes amis. Je Vous… Je Vous prie aussi pour le roi. Sa vie ne doit pas être facile tous les jours. Protégez-le, Seigneur, je Vous en supplie. C’est très important pour le pays, et pour moi aussi.
Et la petite flamme de la bougie brille toujours.
* * *
Sept heures vingt.
- Bon sang ! Espèce d’andouille ! Poule mouillée ! rugit Angevert à l’adresse de Large-Carrure.
Ce dernier, encore tout pâle, balbutie je ne sais quoi.
Petites-Lunettes, qui conduit, se tait.
Quelques minutes plus tard, dans l’appartement de Large-Carrure, Angevert reprend avec véhémence :
- Tu m’avais dit que tu savais tirer comme un professionnel ! On voit que tu avais appris aux fêtes foraines !
Ayant repris de l’assurance, le commis de l’imprimerie déclare :
- Vous avez bien vu qu’il y avait un bébé dans un siège « dos à la route » à côté du roi, et que celui-ci, en se baissant, était tout près du bébé. Je n’allais pas le tuer !
- Mais à cause de toi notre attentat est raté ! C’est honteux et lamentable !
- Tuer le principe royal, oui, mais un enfant, ça ne va pas ? Vous êtes fous ?
- Calme-toi !
- Je ne participerai plus à vos conspirations ! Cela ne m’intéresse plus. Je ne suis pas né pour tuer. Mais pour aider les autres ! Ce que je voulais, c’est les délivrer de la servitude. Mais vous êtes prêts à tout ! Je suis désolé, je m’en vais. Ou plutôt, laissez-moi. Le bébé était paisiblement endormi. C’eût été affreux de…
- Et maintenant, que va-t-on faire ? interroge Petites-Lunettes, le visage plus jaune que jamais. Ces gens vont nous dénoncer…
- Je ne pense pas qu’on nous retrouve. La rue était déserte, personne n’a pu nous reconnaître et personne ne nous a suivis. Quant à toi, dit-il en désignant Large-Carrure d’un ton menaçant, si tu dis un seul mot de ce qui est arrivé, gare à toi !
Les trois hommes rentrent ensuite au journal. Heureusement pour eux, ce jour-là, l’entreprise n’ouvre qu’à huit heures.
* * *
Adagio, aussitôt arrivé au Régiment, a averti la police. Celle-ci rediffuse alors la nouvelle à la radio, et c’est ainsi qu’au journal de 8 heures 30, Baudouin a le soulagement d’entendre :
« Tentative d’assassinat contre le roi Adagio Ier. Ce matin à 7 h 15, rue de la Paix, le roi se rendait au Ier Régiment de l’Armée de Terre comme tous les matins depuis un mois, accompagné d’une de ses amies et de sa fille âgée d’un an, auxquelles il voulait faire visiter les lieux de son travail. Ce jour-là exceptionnellement, le roi avait congédié son garde de corps. Une voiture blanche les a soudain dépassés - le roi ne se souvient ni de sa marque ni du numéro de la plaque d’immatriculation -, où se trouvaient trois personnes portant des masques noirs, et étant donc non identifiables. L’une d’elles a braqué une carabine de petit calibre sur le roi qui s’est instinctivement baissé du côté du siège du bébé, et l’on peut penser que c’est parce qu’il ne voulait pas tuer l’enfant que l’homme a baissé son arme… On arriverait donc au délicieux paradoxe qu’un bébé de douze mois ait sauvé la vie de notre roi ! En tout cas ce dernier ne paraît pas en avoir été affecté car il dormait à poings fermés. »
Et Ombeline reposait effectivement du sommeil du juste, ses petites mains potelées posées sur sa robe rose…
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