Film de Louis Malle, avec Pierre Blaise, Aurore Clément, Hugo Howenwalter
synopsis: Juin 1944. Lucien Lacombe, un jeune homme d'une quinzaine d'années, termine son travail saisonnier et rentre pour quelques jours chez ses parents à la campagne. Désirant fuir un environnement familial qui lui déplait (son père est prisonnier et sa mère est avec un autre homme), il tente de s'engager dans la résistance par le biais de son instituteur, mais est éconduit à cause de son jeune âge. Errant à l'aventure, il se fait accoster par un agent français de la gestapo qui le recrute un peu par hasard. Sans trop savoir ce qu'il fait, mais séduit par cette nouvelle vie qui s'ouvre à lui, Lucien va participer aux différentes activités des auxiliaires de la gestapo tout en s'amourachant de la fille d'un tailleur juif qui vit en sursis.
Commentaire: "Lacombe Lucien" fait partie de ces films français que l'on peut considérer comme des classiques, mais également de ceux qui firent beaucoup de bruit lors de leur sortie. La presse jugea sévèrement le film à une époque où le pays vivait encore dans une conception relativement conscensuelle des évènements historiques évoqués. A cet égard, le journal Le Monde s'avéra être champion en matière d'hyporcrisie puisqu'après avoir qualifié le film de " chef-d'oeuvre " dans les premiers jours de sa sortie, dénonçait quelques semaines plus tard une oeuvre " dangereuse ". Surtout, des associations d'anciens résistants, gaullistes et communistes notamment, reprochèrent avec virulence au cinéaste d'avoir blanchi un collabo. Vaines accusations que Louis Malle balaya en expliquant que la vision de l'occupation allemande en France était trop éducolrée et que lui-même avait souhaité le strict réalisme. Un parti pris qui se retrouve d'ailleurs au niveau de la technique puisque le film fut tourné en son direct, sans bruitage ni doublage. En revanche, le film fut bien accueillit à l'étranger et même distingué puisqu'il remporta en 1974 le prix du Meilleur film de l'année aux BAFTA Awards (Oscars britanniques) et fut nommé aux Oscars du Meilleur Film Etranger. En ce qui concerne le casting, Louis Malle avait dés le début souhaité un inconnu, toujours par sens du réalisme. C'est au terme d'un casting harrassant (plusieurs centaines de postulants furent auditionnés) que Malle trouva enfin son Lucien Lacombe en la personne de Pierre Blaise, venu d'ailleurs contre son gré sur pression de sa mère. Cette contrainte perturba d'ailleurs les relations du jeune acteur (qui ne souhaitait absolument pas faire carrière) avec le réalisateur tout au long du tournage. Pierre Blaise n'en est pas moins bluffant de justesse, interprétant un Lucien on ne peut plus crédible, tout à tour curieux, innocent, ignorant, profiteur, pervers. Le jeune acteur devait mourir tragiquement d'un accident de voiture deux ans après la sortie du film. face à lui, la jeune Aurore Clément, qui faisait ses premiers pas d'actrice avant d'entamer une fructueuse carrière sous la direction d'Yves Boisset, Claude Chabrol ou Pierre Schoendoerffer, est également très convaincante dans un rôle difficile car lui aussi ambigu. En effet, elle incarne une jeune fille juive d'un vieux tailleur, épargné par un agent de la gestapo en échange de menus services et que Lucien va séduire.
C'est à ce niveau que le film prend tout son sens. En effet, aucun jugement moral n'est porté sur l'ensemble des personnages. Ces derneirs se montrent tout à tour attachnats et odieux. On peut notamment citer l'agent français qui prend Lucien sous son aile et qui n'a aucun scrupule à arrêter des compatriotes résistants et les torturer ou à rançonner le vieux tailleur juif, tout en se montrant très sympathiques et capable d'une certaine intelligence lucide sur les évènements (il prévoit en effet la défaite allemande). Les autres agents sont tout aussi agréables et sympathiques avec Lucien qu'impitoyables et brutaux avec leurs prisonniers interrogés. Lucien lui-même, malgré son jeune âge et son ignorance, ne tarde pas à connaitre ce nouvel environnement et à en tirer un profit personnel, notamment en séduisant la fille du tailleurs juif impuissant, laquelle cède d'ailleurs assez facilement. Lucien se sent un homme, un chef, en présentant sa carte de police allemande et profite de ce nouveau pouvoir qui le grise. Mais il fait aussi preuve de courage lorsque, lors d'un rebondissement peu commun, il abat l'officier allemand venu chercher la fille du tailleur pour la déporter (mais est-ce vraiment par amour pour cette fille ou uniquement pour récupèrer la montre que l'allemand lui pris peu avant? Le film laisse le doute). Comble de l'audace et du politiquement incorrect, on voit même un noir parmi les auxiliaires de la gestapo (par ailleurs lui aussi très sympathique et l'un des plus polis), élément scénaristique qui fut également reproché au cinéaste par les bien pensants mais parfaitement réalistes et d'ailleurs basés sur des faits réels. Précison que ce film se déroulant sur l'occupation allemande de la France verra très peu les allemands, seulement une patrouille passant au loin et l'officier que tue Lucien. Il s'agit bien ici d'une chronique française concernant les français sous l'occupation. Louis Malle rend à la perfection toute l'ambiguité et les difficultés de cette période, le parti pris anti-manichéen faisant mouche systématiquement.Ce n'est pas en moralisateur, ni même en historien que Louis Malle aborde cet épisode de notre histoire, mais bien en cinéaste et modeste chroniqueur d'une époque dense et complexe.
Avec le recul, on se rend compte quel abîme il existe entre un tel film et la production cinématographique actuelle abordant la seconde Guerre mondiale ("Indigènes", "Inglorious basterds" ou "L'armée du crime"), véritable machine propagandiste et moralisatrice dotée de beaucoup plus de moyens techniques et financiers, mais de beaucoup moins d'âme et de qualité artistique. On ne peut que le regretter et souhaiter aux nouvelles générations de (re)découvrir ce film qui résonne comme un témoignage de ce qui fut avant le cinéma historique français.
Raspail
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