Marianne 2 est un journal qui n'en finit plus de jouer sur le plan de la contestation du monde politique actuel. Au nom de la critique, on se permet tout. Ce qui parfois laisse apparaître quelques perles.
J'ai donc relevé deux articles très intéressants, notamment dans la perspective du rétablissement de la nation.
Le premier concerne le rôle structurant de l'antagonisme ami-ennemi dans la naissance et la conduite de la politique. "Accepter l'ennemi comme tel (et lui faire la guerre si besoin)" est un texte rare, extrait de L'essence du politique, de Julien Freund.
"Tout comme le pacifiste découvre immédiatement l'ennemi chez celui qui
n'admet pas sa conception de la paix, les idéologies de la société sans
ennemi (par exemple le marxisme) maudissent la guerre, mais préconisent
la révolution et exigent que les hommes s'entretuent en vue de mettre
la guerre hors-la-loi.[...] étant donné que leur fin est bonne et hautement humaine, les ennemis ne
peuvent être que des criminels ou même l'incarnation du mal (...).
C'est ainsi qu'on justifie au nom de l'humanité l'extermination
inhumaine des ennemis, car tout est permis pour débarrasser le monde de
ces hors-la-loi et hors-l'humanité qui, de ce fait, sont des coupables.
Dans ces conditions la notion de paix perd toute signification, étant
entendu que politiquement elle consiste en un contrat ou traité, ou
plutôt la paix devient impossible. Comment pourrait-il en être
autrement, puisque toute action de l'ennemi, fût-elle désintéressée et
noble, devient automatiquement perverse, immorale et criminelle, tandis
que toute action du révolutionnaire, même scélérate et atroce, devient
sainte, juste et irréprochable ? Nier l'ennemi, c'est nier la paix."
L'auteur en conclue en parlant d'un adversaire "que je serais tout autant que lui capable de boire des bières, de passer une soirée – un week-end, pourquoi pas ? – avec son ami Farid, et de m'entendre avec lui. Mais qu'il n'en resterait pas moins mon ennemi." Voilà une confession courageuse, au moment où l'on cherche à abattre les frontières, à proclamer partout la paix universelle, sans voir que la guerre civile est peut-être l'avenir le plus certain qui puisse advenir.
Le deuxième retrace l'histoire du protectionnisme, sous la plume de David Todd. L'auteur explique que le protectionnisme n'est pas né d'un contexte de repli identitaire, prélude à l'avènement de régimes autoritaires et guerriers, mais plutôt d'une situation de domination anglaise, contre laquelle il fallut bien se protéger pour maintenir les économies nationales.
"Le protectionnisme, à partir de la fin du XIXe siècle et surtout en
Allemagne, a donc bien pu nourrir le nationalisme xénophobe qui a
ravagé l’Europe entre 1914 et 1945. Mais les exemples de Thiers, List
et Carey montrent que le protectionnisme a d’abord été le fruit
d’échanges intellectuels entre nations « dominées » contre la puissance
dominante de l’Empire britannique, plutôt que l’expression d’une soif
de domination nationaliste. Ils suggèrent aussi qu’il a souvent été la
facette économique d’un libéralisme égalitaire, de gauche ou de
centre-gauche, qui plaçait le citoyen au-dessus du consommateur.
Contrairement à ce que croient beaucoup de leurs partisans respectifs,
de nos jours comme au XIXe siècle, la lutte entre le libre-échange et
le protectionnisme n’est pas un conflit entre le bien et le mal. Les
tarifs protecteurs ne conduisent pas plus mécaniquement à la guerre que
le libre-échange ne garantit la paix, comme en témoigne le traité de
commerce conclu entre la France et la Prusse en 1862, qui n’a pas
empêché le déclenchement de la guerre de 1870. Les tarifs ne sont ni
plus ni moins que des impôts sur les produits importés, avec – comme
tout impôt – des effets adverses et positifs sur la création de
richesses. Leur signification politique et leurs conséquences
économiques ont, elles, considérablement varié au cours de l’histoire."
David Todd défend que la gauche a souvent défendu le protectionnisme, Marianne 2 aussi. La gauche se réveillerait-elle ? Bientôt, les vrais gauchistes clameront haut et fort : "J'ai toujours été protectionniste", de même qu'ils ont proclamé : "Je n'ai jamais collaboré".
Didyme
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