Les déficits des pays européens sont en pleine explosion. Dans l’Europe des 27, ce sont 20 pays qui sont sous le coup d’une procédure disciplinaire pour leurs déficits excessifs. En effet, les critères de convergence de Maastricht interdisaient aux déficits publics de dépasser le seuil de 3 % du PIB (et 60 % du PIB pour la dette publique), limite depuis longtemps dépassée par la France, dont le déficit se chiffre à 8,2 % de son PIB pour 2009, contre 3,7 % en Allemagne. Cette dernière, faisant figure de bonne élève, a tout récemment adoptée des règles de gestion plus vertueuse que ce qu’exige le Traité de Maastricht, en limitant dès 2016 son déficit public à moins d’un demi pourcent de son PIB. Une proposition a été faite en France par Xavier Bertrand, qui pourrait de prime abord ressembler à la mesure constitutionnelle allemande : définir un « critère national » de dette acceptable. Pourtant, au vu du contexte français, ne serait-ce pas un moyen pour la classe politique française de jeter les critères de convergence de Maastricht au panier ?
Un tout récent rapport de l’OCDE chiffre les dépenses de l’État français à 52 % du PIB, soit très au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE de 42 %. En Allemagne, économie comparable à la France, les dépenses publiques ne représentent que 45 %. Le chiffre français est en fait tellement élevé que la France n’est dépassée que par la Suède. La taille colossale de l’État français se mesure aussi par les 22 % de la population active qu’elle emploie, contre seulement 10 % en Allemagne. Le problème de ces dépenses publiques, c’est qu’il faut bien les financer. Aussi, l’État français dispose d’une fiscalité particulièrement agressive : la France détient la première place au palmarès de la misère fiscale du magazine Forbes. La dépense est très majoritairement mal gérée (en partie du fait d’une fausse décentralisation déresponsabilisante) et donc contre-productive. Cette conséquence étant très peu et très mal expliquée en France, les réformes visant à réduire les dépenses publiques restent très impopulaires. Et c’est justement parce que la maîtrise de la dépense publique a très mauvaise presse que le gouvernement et la majorité présidentielle, engagés dans le cycle politique menant à 2012, sont peu susceptibles d’adopter des réformes de fond. Sans volonté marquée de réduire la dépense publique, quel critère budgétaire s’imposerait l’État français ?
Malgré des impôts particulièrement élevés, les recettes fiscales françaises ne couvrent pas les dépenses publiques. Cette partie non couverte, le déficit, représente 8,2 % du PIB, et s’élèvera à 8,5 % l’année prochaine. Ces chiffres sont si élevés que le commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires Joaquim Almunia a indiqué vouloir s’intéresser de plus près à la façon dont les Français ont suivi les recommandations qu’il leur avait été faites par Bruxelles en avril pour leur déficit excessif. Or, entre temps, Paris a repoussé à 2015 les objectifs de rééquilibrage fixés à 2012 par Bruxelles. Pour expliquer ces écarts, Bercy se réfugie derrière les recommandations de relance faites au point culminant de la récession, et déclare avoir subi la baisse des recettes fiscales liées au ralentissement économique, en même temps qu’une augmentation des dépenses liées à celui-ci comme les indemnités de chômage. Surfant sur la vague de la crise, M. Sarkozy s’était même drapé dans son nouvel habit keynésien à Versailles pour faire la promotion des « déficits utiles ». Sauf qu’en France la structure irrationnelle de la dépense ne permet pas de légitimer une quelconque « utilité » des déficits : c’est de la simple fuite en avant.
Et les déficits d’aujourd’hui font la dette de demain. La dette française s’élève déjà à 1428 milliards d’euros, soit 73,9 % du PIB ou plus de 21 000 euros par Français. Ce chiffre ahurissant n’avait pourtant pas empêché M. Sarkozy de s’engager à lancer la France dans un « grand emprunt », laissant presque croire que la France n’était pas endettée, et en restant très évasif sur l’usage qui sera fait de ces sommes empruntées. M. Fillon a beau promettre aujourd’hui des « dépenses clairement identifiées porteuses de croissance et d’emploi », la liste reste bien floue : « croissance verte », « économie de l’information », autant de vieux slogans dont on connaît le retour sur investissement. La dette — dont la charge financière représente presque l’équivalent de l’impôt revenu perçu par l’État ! — n’inquiète pas outre mesure le pouvoir : M. Guaino considère même étrange l’idée que la France soit en faillite. Car là aussi, il y a « la bonne dette »… Une vision plus réaliste des finances publiques serait de dire que la France n’a jamais rompu avec cette tradition de dépenses publiques élevées et improductives dénoncées dans le rapport Pébereau et tant d’autres, et que la crise ne représente qu’un prétexte pour les déficits et l’endettement supplémentaires.
Au vu de la traditionnelle « exception française », la proposition de Xavier Bertrand d’élaborer un critère national pour le déficit acceptable ne pourra que signifier la mise de toute discipline budgétaire au panier. Les vraies réformes pour redynamiser le pays ne sont donc pas pour demain. Alors que la Géorgie vient de s’engager sur une voie totalement opposée en apposant courageusement des limites constitutionnelles claires à la dépense publique, à la dette et au déficit, la France laisse filer et précipite en réalité son déclin. Fièrement, bien sûr.
- Mathieu Bédard est analyste sur UnMondeLibre.org et chercheur à l'Institut Economique Molinari.
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