Bernard Antony, président de Chrétienté-Solidarité et président du Cercle d’Amitié Française Juive et Chrétienne a écrit au grand rabbin Bernheim, aux dirigeants du Congrès juif mondial et du consistoire central de France :
Nous avons lu avec tristesse et même indignation vos déclarations simultanément injustes et intruses contre la décision du pape Benoît XVI de proclamer vénérable, selon la tradition de notre Église, le grand pape Pie XII dont la mémoire est ainsi honorée pour l’héroïcité de ses vertus.
Vos propos, tout spécialement pour les catholiques informés de ce que fut l’action salvatrice de ce pape ne sont pas recevables. Mais, nous le savons, ils sont jugés aussi comme très regrettables par beaucoup de juifs. Ainsi, le rabbin David Dalin et beaucoup de ses confrères en Amérique et ailleurs ont, dans la continuité des grandes personnalités juives de l’après-guerre, à cœur de ne pas laisser salir la mémoire de Pie XII.
Ils évitent ainsi très heureusement qu’une généralisation hâtive, un amalgame qui serait regrettable, ne soient faits par des catholiques qui pourraient confondre vos institutions avec la réalité multiple de ce que nous appelons le pays réel juif.
Dans ce dernier en effet où les gens de culture et d’esprit libre sont nombreux, on se souvient des pièges et artifices de la propagande soviétique à l’égard des Juifs comme des chrétiens, on se méfie des mauvaises révisions historiques et de la désinformation médiatique.
Car vous reprenez hélas, ni plus ni moins, les thèmes de l’odieuse campagne contre la mémoire de Pie XII orchestrée en 1959 par les « services » des pays de l’Est autour de la pièce « Le Vicaire » de « l’agent provocateur culturel » Rolf Hochhuth. Ce dernier, personnage étrange, à la fois manipulateur et manipulé, fut en effet un excellent instrument de déstabilisation. On l’utilisa aux fins de la subversion dans l’Église. On l’utilisa comme apologiste du terrorisme d’extrême-gauche qu’inspiraient les mêmes services. On l’utilisa encore lorsqu’il parut utile à l’URSS pour sa politique arabe de combattre les influences juives. Il devint alors un « négationniste » selon le propos du président du Conseil Central Juif d’Allemagne, Paul Spiegel.
La manœuvre soviétique vis-à-vis de l’Église catholique consistait à éliminer autant que possible, coûte que coûte, son anticommunisme. On le fit avec le réseau Pax de l’ancien collaborateur polonais des nazis, Piasecki, comme avec Hochhuth. Pie XII avait en effet été aussi fermement, aussi prudemment, aussi efficacement anticommuniste qu’antinazi.
Il fallait, pour bien manœuvrer dans l’Église avec les « compagnons de route » des partis communistes, noircir le plus possible son pontificat.
Il fallait, pour en faire le « pape de Hitler », faire oublier les remerciements et hommages que lui avaient adressé les plus éminentes personnalités juives de l’après-guerre telles madame Golda Meir et Albert Einstein.
Il fallait faire oublier les expressions de gratitude du grand rabbin de Jérusalem, Isaac Herzog, et celle du grand rabbin de Rome Elie Toaff. Il fallait occulter l’éloge de sa prudence par le grand rabbin du Danemark, Marcus Melchior, rescapé de l’extermination.
Surtout, pour certains, il fallait en finir avec l’histoire du grand rabbin de Rome pendant la guerre, Israël Zoller. Ce dernier avait tout obtenu de Pie XII : tout l’or possible pour payer les sommes exigées par les nazis, tous les asiles possibles dans les couvents, et Castel Gandolfo, résidence d’été des papes, était devenu un refuge pour trois mille juifs. Plein d’amitié et de reconnaissance pour Pie XII, le grand rabbin de Rome en vient à épouser sa foi dans le Christ et à se convertir, devenant alors Eugenio Zolli, professeur à l’Université Grégorienne.
Est-ce cela que certains juifs, et peut-être parmi vous, reprocheraient finalement le plus à Pie XII ?
Quelques-uns peut-être, n’ayant pas sur le christianisme le regard si amical de l’admirable historien et homme de vérité, Robert Aron ?
Mais maintenant, pour vous aider peut-être et en aider beaucoup à comprendre le soi-disant silence de Pie XII, qui ne fut qu’une prudence non provocatrice, assumée aux limites des plus grands risques, ne pourrait-on pas comparer son attitude à celles de bien de vos éminents prédécesseurs, conducteurs de votre peuple, quelquefois confrontés aux autres tragédies exterminationnistes ou, pour le moins, informés de leur réalité. Que firent-ils donc de mieux que Pie XII ?
Vous le savez, l’Église catholique avec Jean-Paul II a professé des repentances souvent justifiées pour les actes odieux commis par le passé au nom de notre religion. Pourquoi des autorités juives ne reconnaîtraient-elles pas de même, comme le fit la grande journaliste et écrivain Annie Kriegel, l’engagement d’une partie importante (elle en avait été) du peuple juif dans les révolutions communistes au sein desquelles beaucoup assumèrent les plus hauts postes et hélas aussi d’immenses crimes.
Pourquoi ne pas prononcer aussi, pour l’honneur du peuple juif, quelques phrases de repentance ? C’est, en tous cas, déjà, celui du journaliste israélien Sever Plocker (de Yediot Ahronot) que d’avoir demandé le 21 décembre 2006 de « ne pas oublier que quelques-uns des plus grands meurtriers des temps modernes étaient juifs ».
Bien sûr, nous le savons, le plus grand nombre des juifs des pays conquis par le communisme réprouvaient les horreurs des tchékistes. Quoi qu’il en soit, il serait utile et juste que l’on puisse apprécier quelle fut l’attitude des autorités spirituelles juives. Peut-être à ses débuts la révolution russe les inquiéta-t-elle moins que le nazisme plus tard. On veut bien le comprendre. Mais, lorsque Staline s’allia à Hitler, lorsqu’il s’achemina lui aussi vers un antisémitisme de plus en plus menaçant (complot des « blouses blanches, création du Birobidjan, etc…), qu’en fut-il ?
Osera-t-on nous répondre qu’ils étaient tenus au silence pour ne pas exciter le meurtrier psychopathe du Kremlin ?
Le peuple juif étant par vocation ouvert à « l’universel » comme vous aimez souvent le rappeler, vos prédécesseurs n’ont pu être indifférents aux autres génocides du XX° siècle.
Celui perpétré par le régime maçonnique Jeune-Turc, qui a exterminé les Arméniens et autres chrétiens en 1915, fut de proportion comparable à la Shoah et vit se dérouler des crimes et massacres d’une hallucinante cruauté sadique. La communauté juive turque était alors laissée en paix et plutôt prospère.
On aimerait donc savoir quelle fut l’attitude de vos grands rabbins et de vos dirigeants face à cette tragédie qui, on l’a trop oublié, annonça celle de votre peuple. Hitler ne déclara-t-il pas : « Qui se souvient des Arméniens ? » On n’ose pas penser que vos prédécesseurs auraient été plus indifférents pour les chrétiens que Pie XII pour les Juifs. Là aussi les historiens seront heureux d’accéder à toutes les archives.
Le rédacteur de ces lignes, messieurs les rabbins et dirigeants, est l’auteur d’une « Histoire des juifs d’Abraham à nos jours ». Elle a été écrite pour favoriser un véritable dialogue inter-religieux, dans la vérité, sans complaisance frelatée, mais dans le respect et même l’amitié telle que celle qui règne entre patriotes français juifs et chrétiens au sein de notre cercle d’Amitié Française.
Ce livre lui a valu les éloges de beaucoup de lecteurs, chrétiens et juifs. Commandé par plusieurs instituts et périodiques juifs, il n’a fait l’objet de leur part depuis bientôt quatre ans d’aucune réprobation. Bénéficiant d’articles très favorables dans les principales publications du catholicisme de conviction, il n’a suscité d’hostilité que celle de quelques personnages et groupuscules agités par un antisémitisme aussi affligeant que ridicule.
À l’évidence, les moins sommaires me reprochent d’avoir écrit un livre dans la recherche de la vérité et non sans amour pour le peuple « que Dieu s’est choisi » selon l’expression de Malachi Martin. Ils ne me pardonnent pas d’avoir confié que j’ai souvent travaillé en regardant l’image de Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix, Edith Stein de son nom de jeune fille.
Entrée au Carmel de Cologne en octobre 1993, sa supérieure, sachant le redoublement de la haine des nazis pour les juifs catholiques, l’envoya pour la protéger au Carmel d’Echt aux Pays-Bas. Mais lorsque ce pays fut envahi et occupé, un plan de déportation des juifs fut élaboré en 1942. Après la protestation des évêques de Hollande le 11 juillet, ce plan fut aussitôt accéléré. L’ordre avait été donné par le Commandant SS de traiter en priorité, avec une sévérité encore plus grande, les juifs catholiques. Edith Stein et sa sœur Rosa furent arrêtées le 2 août. Au camp de transit de Westerbock, le 5 août, elles n’eurent pas droit au minimum de nourriture encore accordé aux juifs. Une petite carmélite juive, et sa sœur, catholique aussi, voilà en effet des personnes qui constituaient un grand danger pour le III° Reich. Il fallait au plus vite les conduire à la mort. Ce fut fait dès l’arrivée à Auschwitz-Birkenau le 9 août 1942.
La protestation courageuse des évêques hollandais n’avait servi à rien, qu’à augmenter et accélérer la fureur meurtrière des exterminateurs. Cela incita Pie XII à mesurer jusqu’où il pouvait aller trop loin… Mais vous, ses accusateurs aujourd’hui, êtes-vous bien sûrs de bien servir la cause de votre peuple ? Les rabbins et les historiens juifs qui défendent la vérité pour Pie XII et n’injurient pas Benoît XVI le font certainement mieux que vous.
Et voici d’ailleurs qu’au moment même où je terminais ces lignes, je prends connaissance des propos délicats, justes et intelligents de Me Serge Klarsfeld déclarant notamment que « Pie XII a joué un rôle déterminant contre Hitler » et comment grâce à ses directives « des milliers de juifs ont pu être sauvés ».
Je vous prie d’agréer, messieurs, l’expression d’une considération proportionnée à l’esprit de vérité dont vous témoignerez en n‘offensant pas la mémoire d’un pape auquel tant de vos coréligionnaires odieusement pourchassés doivent la vie.
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