Ces dernières années, nous avons vu des exemples de
petits groupes de personnes qui peuvent se livrer à un suicide
collectif. En 1978, 918 membres du Temple du Peuple dirigé par Jim
Jones périrent empoisonnés après avoir bu du koolaid. En 1997, 39
membres de la secte La Porte du Ciel décédèrent après s'être drogués et
attachés des sacs de plastique autour de leur tête. Malheureusement,
l'histoire démontre également qu'il est possible pour toute une
civilisation de se suicider en détruisant délibérément les moyens de sa
subsistance.
Mémorial dédié aux Xhosa, près de Bisho, Afrique du
Sud avec l'inscription :"ICI REPOSENT DES HOMMES,
FEMMES ET ENFANTS - VICTIMES INNOCENTS DE
L'ABATTAGE CATASTROPHIQUE DU BETAIL DE 1856/7"
Au début du XIXe siècle, les Britanniques ont
colonisé l'Afrique du Sud. Les indigènes Xhosa résistèrent, mais
souffrirent des multiples défaites humiliantes face aux forces
militaires britanniques. Les Xhosa finirent par perdre leur
indépendance et leur terre natale devinrent une colonie anglaise. Les
Britanniques adoptèrent une politique d'occidentalisation des Xhosa.
Ceux-ci doivent être convertis au christianisme, leur culture et leur
religion doivent être anéanties. Sous la pression d'une technologie
supérieure et irrésistible, les Xhosa développèrent un sentiment
d'inadaptation et d'infériorité. Dans ce contexte apparut un prophète.
En avril 1856, une fille de quinze ans, Nongqawuse
entend une voix lui dire que les Xhosa doivent tuer tous les bovins,
arrêter de cultiver leurs champs et détruire leurs stocks de céréales
et d'aliments. La voix insiste pour que les Xhosa se débarrassent aussi
de leurs houes, ustensiles de cuisine et tous les outils nécessaires au
maintien de la vie. Une fois ces choses accomplies, une nouvelle ère va
naître magiquement. Tout ce qu'il faut pour la vie va surgir
spontanément de terre. Les morts seront ressuscités. Les aveugles
verront et les vieux retrouveront leur jeunesse. La nourriture et du
nouveau bétail vont réapparaître en abondance, sortant spontanément de
terre. Les Britanniques seront acculés à la mer et l'ancienne gloire
des Xhosa sera restaurée. Ce qui est promis n'est rien de moins que la
création du paradis sur Terre.
Nongqawuse raconte cette histoire à son oncle et
tuteur, Mhlakaza. Dans un premier temps, l'oncle était sceptique. Mais
il devient croyant après avoir accompagné sa nièce à l'endroit où elle
a entendu la voix. Bien que Mhlakaza n'ait rien entendu, il est devenu
convaincu que Nongqawuse a entendu la voix de son défunt père dont les
instructions doivent être respectées. Mhlakaza devient le prophète en
chef et leader du mouvement d'extermination du bétail.
Les nouvelles de la prophétie se propagent
rapidement et en quelques semaines, le roi des Xhosa, Sarhili, devient
un converti. Il ordonne aux Xhosa d'abattre leur bétail et, dans un
acte symbolique, tue son boeuf favori. Pendant que l'hystérie s'étend,
d'autres Xhosa commencent à avoir des visions. Certains voient les
ombres des morts ressuscités surgir de la mer, roder parmi les joncs en
bordure de rivières ou même flotter dans l'air. Partout où les gens
regardent, ils trouvent des preuves à l'appui de ce qu'ils tiennent
désespérément pour être vrai.
Les croyants commencent leurs oeuvres pour de bon.
D'importantes quantités de céréales sont retirées des silos et épandues
par terre pour finir par pourrir. Le bétail est tué si rapidement à une
échelle telle que les vautours ne parviennent pas à dévorer tous les
cadavres en décomposition. Le nombre ultime de bétail que les Xhosa ont
abattu se monte à 400.000. Après avoir tué leur bétail, les Xhosa
construisent de nouveaux kraals [enclos] plus pour tenir les nouvelles
bêtes magiques qu'ils s'attendent à voir sortir de terre. L'élan de ce
mouvement est devenu irrésistible.
La résurrection des morts est prévue pour la pleine
lune de juin 1856. Rien ne s'est produit. Le prophète en chef du
mouvement d'extermination du bétail, Mhlakaza, repousse la date à la
pleine lune du mois d'août. Mais une fois de plus, la prophétie ne se
réalise pas.
Le mouvement d'extermination du bétail commence
désormais à entrer dans sa phase finale et mortelle, qui est
inévitable de par sa propre logique interne. L'échec de la prophétie a
été imputé sur le fait que l'extermination du bétail n'est pas
complète. La plupart des croyants a conservé un peu de bétail,
principalement des vaches laitières qui fournissent une source de
nourriture immédiate et continue. Pire encore, il y avait une minorité
de sceptiques non-croyants qui ont refusé de tuer leur bétail.
La saison des plantations d'automne arrive et s'en
va. Les croyants ont jeté leurs pelles dans les rivières et n'ont pas
semé une seule graine. En décembre de 1856, les Xhosa commencent à être
tiraillés par la faim. Ils fouillent les champs et les bois à la
recherche des baies et des racines et essayent même de manger l'écorce
des arbres. Mhlakaza fixe une nouvelle date au 11 décembre pour la
survenue de la prophétie. Lorsque l'événement prévu ne se produit pas,
les mécréants sont blâmés.
La résurrection est reportée une fois encore pour 16
février 1857 mais les croyants sont de nouveau déçus. Même après tout
ce temps, le croyant moyen possède encore trois ou quatre têtes de
bétail vivantes. L'échec répété des prophéties ne pouvait que signifier
que les Xhosa n'avaient pas réussi à remplir la condition nécessaire
qui consiste à tuer jusqu'au dernier tout le bétail. Maintenant, enfin,
ils commencent à aller jusqu'au bout du processus de mise à mort. Non
seulement les bovins ont été abattus, mais aussi les poules et les
chèvres. Tous les moyens de subsistance doivent être détruits. Tout le
bétail qui pourrait avoir échappé à l'extermination plus tôt est
désormais abattu pour la nourriture.
Une famine sérieuse débute à la fin du printemps de
1857. Toute nourriture a disparu. La population affamée va jusqu'à
manger la nourriture des chevaux. Les gens ramassent les os qui ont
blanchi sous le soleil pendant des années pour essayer d'en faire de a
soupe. Ils mangent de l'herbe. Rendus fous par la faim, certains
pratiquent le cannibalisme. Affaiblis par la famine, les membres de la
famille se résignent à regarder les chiens dévorer les cadavres de
leurs conjoints et de leurs enfants. Ceux qui ne meurent pas
directement de faim succombent à la maladie. Jusqu'à la fin, les
véritables croyants ne renoncent jamais à leur foi. Ils meurent
simplement de faim en blâmant l'échec de la prophétie sur le doute des
non-croyants.
À la fin de 1858, la population des Xhosa a chuté de
105.000 à 26.000. Quarante à cinquante mille personnes sont mortes de
faim et le reste a migré. Avec la civilisation Xhosa détruite, le
terrain est libre pour la colonisation des blancs. Les Britanniques
constatent que ceux des Xhosa qui ont survécu sont des servants dociles
et utiles. Ce que l'Empire britannique n'a pas été en mesure
d'accomplir en plus de cinquante ans de colonialisme guerrier, les
Xhosa l'ont fait par eux-mêmes en moins de deux ans.
La civilisation occidentale est maintenant sur le
point de répéter l'expérience des Xhosa. Depuis l'avènement de la
révolution industrielle à la fin du XVIIIe siècle, l'Europe et
l'Amérique du Nord ont bénéficié de la plus grande prospérité jamais
connue sur Terre. L'espérance de vie a doublé. En un peu plus de deux
cents ans, chaque mesure objective du bien-être humain a augmenté plus
que dans l'ensemble de l'histoire de l'humanité.
Mais la civilisation occidentale est en roue libre
sur une impulsion donnée par nos ancêtres. Il n'y a presque personne
vivant en Europe ou en Amérique aujourd'hui qui croit en la supériorité
de la société occidentale. La culpabilité et la honte nous pendent au
cou comme des meules et conduisent notre culture émasculée vers
l'auto-immolation. Quels que soient les défauts des bâtisseurs de
l'Empire britannique, eux au moins croyaient en eux-mêmes.
Nos ancêtres ont bâti une civilisation technologique
basée sur l'énergie carbonée des combustibles fossiles. Sans l'énergie
bon marché et fiable fournie par le charbon, le pétrole et le gaz,
notre civilisation s'effondrerait rapidement. Les prophètes du
réchauffement climatique veulent que nous fassions exactement cela.
Comme le prophète Mhlakaza, Al Gore a promis que si
l'on cesse d'utiliser l'énergie à base de carbone, de nouvelles
technologies de l'énergie vont apparaître par magie. Les lois de la
physique et de chimie seraient abrogées par la volonté politique du
pouvoir. Nous allons atteindre la prospérité par la destruction de tous
les moyens grâce auxquels la prospérité est créée.
Alors que la civilisation occidentale est en pleine
confusion, paralysée par le doute et la culpabilité, les Chinois sont
en train de construire rapidement une civilisation technologique
intensive en énergie. Ils ont 2000 centrales électriques alimentées au
charbon et en construisent une nouvelle par semaine. En Chine, plus de
gens croient en l'économie de marché libre qu'aux États-Unis. Nos amis
asiatiques sont sur le point d'être désignés par l'histoire comme les
nouveaux relayeurs du progrès humain.
David Deming, professeur agrégé d'Arts et des Sciences à l'Université de l'Oklahoma
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