À
propos du « débat » sur l’identité de la France
L’identité de la France alla longtemps
d’elle-même : on était Français parce qu’on parlait français, que l’on
respectait les héritages d’une civilisation construite par les valeurs de la
foi, que le triptyque « Liberté , égalité, fraternité » n’a fait que
retranscrire en langue laïque, valeurs et langues autour desquelles s’est forgé
au fil des siècles un imaginaire propre, tel que l’expriment des éléments aussi
divers que le patrimoine littéraire ou artistique, un code d’usage et de
manières de vivre, ou les fêtes du calendrier : en somme une civilisation
singulière, parmi les autres civilisations tout aussi singulières, chacune
faisant vivre la diversité du monde. Mécaniquement lié à ce pilier
civilisationnel, un second pilier, plus politique, allait tout autant de
soi : on était Français parce que l’on ressortait d’un territoire aux
frontières sûres sur lequel s’exerçait un Etat souverain - la république
reprenant le terme de souveraineté
théorisé au XVIème siècle par Jean Bodin, qui ne faisait que reformuler l’adage
médiéval « le Roi de France est Empereur en son royaume » et qui
fut toujours le fondement de la légitimité politique. La France n’étant pas une
race, cela dès le lointain roi franc Clovis, son identité est nécessairement
marquée d’une bonne dose de politique, autre nom d’une souveraineté qui, contre
les récurrentes menaces des Empires, fut toujours la clef de voûte de notre
appartenance politique, d’où le succès durable dans notre imaginaire collectif
des grands figures de la résistance, du formidable élan populaire de Bouvines
aux conscrits de Valmy, de la geste de
Jeanne d’Arc à celle des volontaires des maquis, à cette France combattante à
laquelle Romain Gary donna cette enseigne : « Notre pays n’est pas la
France, c’est la France libre », qui claque comme le résumé fier et
magnifique de l’Histoire de France.
Une civilisation singulière, une souveraineté
opiniâtre pour la défendre : deux piliers si indépassables que la notion le
plus moderne de la Nation, ce « vouloir vivre commun » que développa
Renan dans sa fameuse conférence de 1882, que tout le monde cite sans l’avoir
lue en son entier, et qui dans son esprit les suppose toutes deux, Renan insistant
à juste titre sur la langue. Il y a quelques années encore, tout cela allait de
soi, et la Vème République à ses débuts fit la preuve qu’ils étaient
parfaitement formulables dans les termes du XXème siècle.
Or, il arriva que ces deux piliers constamment
réactualisés de génération en génération
depuis des siècles furent tout à coup publiés comme obsolète par la
France officielle qui sortit de cette révolution culturelle parfaitement
réussie que fut le mouvement de 68 et qui, au fil des années 70 et 80 prit l’un
après l’autre les commandes de nos institutions, universitaires, religieuses,
éditoriales et médiatiques, et de proche en proche politiques. Qu’il s’agisse de nos élites, du
moins les patentées, de nos ténors politiques, du moins les autorisés, ou de
nos gouvernants, il n’est plus question que d’éradiquer le vieux monde, aussi
bien notre singularité de civilisation que notre souveraineté politique. Il
n’est que de prendre le cœur du cœur civilisationnel et politique, la langue
française, pour mesurer l’ampleur vertigineuse de brutal renversement : un
ministre (des universités) peut désormais claironner qu’elle s’exprime à
l’étranger en anglais ( alors même qu’elle peut utiliser un système de
traduction) parce qu’elle estime être alors mieux comprise –peut-être même
d’elle-même…- ou annoncer son intention de multiplier les épreuves
universitaires en anglais (en l’occurrence en américain), la voici portée au
pinacle de la modernité ; une autre peut truffer un entretien d’expressions anglo-américaines en
s’excusant : « pardon, mais ça me vient comme ça » ; un
troisième peut justifier l’enseignement en bas âge de l’anglo-américain, alors
les structures du français sont encore loin d’être maîtrisées, parce que cette
langue est réputée « la langue de la mondialisation » (le français
est pourtant l’une des deux seules
langues de travail de l’ONU…) ; un autre encore peut nier en sifflotant la
loi de 1994 et autoriser les services publics à servir « la
clientèle » (sic !), dans des langues étrangères (anglo-américain
dans l’Ouest, arabe, ou wolof dans le Sud ou certaines banlieues) ; un
autre encore flairer des « relents de colonialisme » dans la
francophonie (dimension d’ailleurs abandonnée de notre politique, avec
elle les sommets francophones), le Président de la république peut lui-même
dauber sur l’utilité du patrimoine littéraire (« à quoi sert de connaître
la Princesse de Clèves ? »), ou faire supprimer les épreuves de
culture générale de certains concours administratifs, un professeur d’université
peut proclamer en une du Monde que la
langue française est « morte et pourrissante » , etc… A ces
innombrables coups de poignard, nulle sanction au contraire : les Modernes
applaudissent et nomment ringards ceux qui s’alarment – quitte à les amuser
ensuite par de grands débats sur l’Identité…
Encore n’évoquais-je ici que l’élément
le plus consensuel et unificateur de la Nation : que ne pourrait-on dire
de la générale « préférence nationale à l’envers » accordée à tout ce
qui n’est pas français », de l’annonce triomphante par les radios du
service public des dates du « printemps chinois » ou du ramadan
tandis que celles du Carême sont passées sous silence, du soin obsessionnel et
méticuleux à présenter le passé national comme critiquable ou odieux (qui veut
abattre son chien dit qu’il a la rage), de la célébration de la défaite de
Trafalgar quand sont passées sou silence les victoires d’Austerlitz ou de
Bir-Hakeim, et des mille et une formes
de « discrimination positive » qui consiste à favoriser l’autre, quel
qu’il soit plutôt que nous mêmes. « Vive les autres, à bas la
France ! » : cette stupéfiante xénophilie tous azimuts qui
commença dans les années 70, notamment par l’abolition des frontières (ces
jours ci présentées comme autant de « murs » bien entendu à
abattre !), un insistant appel à l’émigration de nos jeunes diplômés
(récemment vantée par Mme Lagarde), dans le temps où l’on encourage et aménage
au mieux l’immigration, explicitement dite « choisie »), tant
réclamée par le patronat et dont un grand patron français donna une
illustration stupéfiante en annonçant au lendemain du 11 septembre qu’il affiliait son groupe à la bourse de New-York
par patriotisme (sic) ;
c’est bien connu, « Nous sommes tous Américains », comme le
proclamait au même moment l’éditorialiste du « Monde » – notons aussi
la variante du « peuple européen » introduite dans notre droit
par le traité de Lisbonne, et cette autre, « nous sommes tous des
immigrés »… En somme tout ce que vous voulez, sauf Français – ne pas
préciser « de souche », ce mot est interdit.
Quant au pilier politique, la
souveraineté, c’est très peu dire que nos oligarchies se sont évertuées à la
saper, jusqu’à saper son arc-boutant moderne, la démocratie. Il est non point
admis, mais obligatoire de considérer la souveraineté nationale comme dépassée,
pour cause d’Europe un jour, de solidarité atlantique un autre jour,
d’ouverture internationale, à moins qu’il ne s’agisse de défendre la
souveraineté du Koweit, ou celle de la Bosnie Herzégovine, ou celle de l’intouchable
banque de Francfort. Conséquences d’un pur et simple impérialisme qui a
toujours tendu à désarmer la souveraineté des nations, et ce
« nationalisme étroit » qu’on semble préférer en haut lieu au
nationalisme large du grand Empire, qu’on s’obstine, OTAN oblige, à suivre
jusqu’aux montages de l’Afghanistan. Le plus frappant est que toutes ces
aberrations dégoutent notre peuple, désormais orphelin de tout héritage, et
d’ailleurs en déshérence ; mais que peut notre peuple quand la démocratie s’est
volatisée, sous la double espèce du Demos
et du Kratos, c’est à dire du pouvoir
et du peuple – cf. l’épisode du référendum sur la constitution Giscard, dont le
résultat pourtant net fut purement nié ?
Il lui reste à sortir de l’histoire, c‘est à dire à n’être plus que le
jouet des puissances de fait, si évidemment à l’oeuvre dans ce processus de
dépossession.
C’est évidemment amuser la galerie,
après ces avalanches, que de lancer des débats sur l’identité française :
initiative saugrenue, voire sadique, mais il est vrai qu’un assassin aime
toujours revenir sur les lieux de son crime, et vérifier que le cadavre est
bien mort, quitte à s’apitoyer bruyamment en public sur les vertus du disparu
et le malheur de sa perte.
Les chevaliers du Moyen-Âge, disait Malraux,
ne s’interrogeaient pas sur l’identité de la chevalerie médiévale : ils se
préoccupaient d’être, et leur être rayonnait. Voilà bien ce qui
s‘évapore : non point tant l’identité, (mot passablement maladroit, car
nous pouvons constituer un peuple sans être identiques, et mieux vaut ne pas
l’être…) mais l’Etre, l’essence, l’esprit de la France. Le mieux, ou le pire,
est qu’aucune des illustrations ici données de la haine de soi n’est le fait
d’une fatalité, mais d’une volonté, d’une action consciente venue précisément
de nos oligarques de tous poils –économiques, médiatiques, politiques, lesquels
constituent d’ailleurs une sorte de nation à part. A force de mettre la France
plus bas que terre, il est fatal qu’elle s’y trouve tôt ou tard ; c’est alors
qu’on parlera d’elle avec des trémolos, vérifiant jusqu’à la caricature la
vieille maxime de Montherlant : « C’est quand la chose manque, qu’il
faut mettre le mot ».
Paul-Marie
Coûteaux
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