par Stéphane Buffetaut
Le rideau est retombé sur la conférence de Copenhague. Le Bella center désormais vide est retourné à son isolement glacé de la périphérie de la capitale danoise. Le résultat de ce grand barnum écologique, diplomatique et politique est bien maigre. Peut-on raisonnablement s’en étonner ?
Plusieurs mois avant l’ouverture du congrès des doutes étaient formulés dans les milieux diplomatiques sur la capacité de l’ONU à mener à bien les négociations. De fait, dès le mardi les négociations étaient enlisées dans des questions procédurales, ce que le Commissaire Dimas constatait le lendemain devant les délégations du Parlement européen, du Comité économique et social européen et du Comité des régions. Dès ce moment, il était clair qu’un accord fort et de grande ampleur était très peu probable. Les discussions se déroulaient sur deux voies différentes, l’une sur Kyoto et Kyoto bis et l’autre sur un nouvel accord mais ces lignes parallèles ne pouvaient se rejoindre. En outre le résultat des deux années de négociations écoulées depuis Bali, ne se retrouvait pas dans les documents proposés aux négociateurs, à la grande colère de certains et notamment du groupe dit des 77 + Chine. Le consensus, qui est la règle à l’ONU apparut très vite comme impossible à atteindre.
On ajoutera à cela que la foule plus ou moins folklorique qui allait et venait dans les allées du centre de conférence, pancartes à la main, annonçant l’apocalypse pour demain ou le sauvetage de la planète par les végétariens, et au milieu de laquelle les négociateurs, ministres et chefs d’Etat se frayaient un chemin, ne contribuait pas à la sérénité des débats.
De surcroît l’Obamania puérile, si propre à l’Europe, avait fait reposer de vains espoirs sur l’action du Président des Etats-Unis. Certains semblaient avoir oublié que ce dernier est tributaire du Congrès et qu’il lui était impossible de prendre des engagements qui ne seraient pas ratifiés par celui-ci. Les Européens auraient pourtant dû se souvenir du précédent douloureux du traité de Versailles, largement inspiré et signé par le Président Wilson et qui ne fut jamais ratifié par les Etats-Unis. Obama n’avait donc pas les mains libres et d’autant moins que sa loi sur la couverture médicale n’était pas encore votée.
Du côté des pays émergeants, il était clair aussi que ceux-ci n’entendaient pas sacrifier leur développement et le bien-être de leurs populations en raison des craintes sur le changement climatique. Le Président Lula a lui-même rappelé qu’il avait été élu pour assurer trois repas par jour à tous les Brésiliens !
Derrière une unité de façade, les Etats membres de l’Union européenne n’étaient pas aussi unanimes qu’il pouvait paraître. Les pays de l’ex-bloc soviétique, ravagés sur le plan humain et économique mais aussi environnemental par plus de quarante ans de communisme, considèrent qu’ils ont eux-mêmes des efforts énormes d’investissement à consentir pour parvenir à l’objectif de moins 20% d’émissions de CO2 en 2020 avant que d’allouer des financements extérieurs ou de passer à un objectif de réduction de 30%.
Enfin, ce que l’on a appelé le « climategate », c'est-à-dire le soupçon de trucage de certains données du GIEC, a sans doute pesé sur les négociations en jetant le doute sur les données scientifiques justifiant la nécessité d’un accord ambitieux sur la réduction des émissions, ce qu’avait exprimé sans pudeur le représentant des pays producteurs de pétrole. A cet égard, les tenants de la pensée climatiquement correcte qui a étouffé toute discussion scientifique publique sur les conclusions du GIEC portent une lourde responsabilité. Le progrès et la connaissance scientifique suppose le doute et la discussion des données. En interdisant le débat, l’on a suscité la méfiance voire le phantasme du complot et l’incident de l’Université d’East Anglia a provoqué une tornade sur le net et jeté le trouble dans les esprits.
Mais derrière tout cet imbroglio politico diplomatique, on ne pouvait s’empêcher de ressentir un certain malaise devant un discours environnementaliste malthusien. Finalement, il semblait que c’est l’être humain qui était l’ennemi principal et qu’il fallait choisir entre « la planète » et l’homme ! Ainsi pouvait-on entendre que l’on devait absolument développer le planning familial aux Etats-Unis parce que les petits américains ont une empreinte carbone quinze fois supérieure à celle des petits égyptiens, ou encore qu’il conviendrait d’empêcher les Allemands de passer leur vacances sur les côtes méditerranéennes afin d’éviter les émissions de CO2 causées par ces déplacements, que la loi devrait prohiber toute utilisation d’engrais chimiques, que la règle chinoise de l’enfant unique devrait être étendue au monde entier ou qu’il conviendrait de taxer les enfants à partir du troisième et qu’enfin les déplacements et les échanges des personnes et des biens pouvaient être nocifs et qu’il fallait déterminer et ceux qui étaient utiles et ceux qui ne l’étaient pas.
En fait, s’est développée une sorte d’idéologie panthéiste et récessive qui dénie à la science et aux technologies toute efficacité réelle pour combattre les défis environnementaux auxquels nous sommes effectivement confrontés et qui ne voit le salut du monde que dans la modification radicale des modes de vie, une sorte de retour aux conditions d’existence pré industrielle d’une société statique.
Le salut réside au contraire dans la définition d’un nouveau mode de croissance, à la fois plus intelligent, plus économe des ressources et plus respectueux de l’homme et de son environnement. Ceci ne sera possible qu’avec le concours des sciences et des techniques mais aussi grâce à une conscience plus forte de nos responsabilités à l’égard des générations à venir. Finalement une rupture avec l’esprit de consommation et de jouissance immédiates.
Que reste-t-il donc de Copenhague ? Une déclaration politique signée par seulement vingt huit Etats sur les cent quatre vingt treize présents, mais qui représentent 90% des émissions de gaz à effet de serre, et qui comporte l’engagement ( ? ) de contenir la hausse des températures en deçà de 2° sans indiquer de quelle façon y parvenir, ainsi que l’engagement des pays industrialisés d’aider les pays en développement à lutter et à s’adapter au changement climatique par des financements de 30 milliards de dollars entre 2010 et 2012, puis de 100 milliards par an en 2020. En outre tous les pays devront indiquer leurs objectifs de réduction de gaz à effet de serre et se sont donnés rendez-vous à Bonn dans six mois et à Mexico à la fin de l’année.
Que conclure de tout cela ?
L’ONU, malgré son alliance objective avec les ONG pour définir une politique climatique mondiale, a démontré une certaine incapacité à mener les négociations. Au contraire, après le G 20, est apparu un G 28 qui semble vouloir diriger les négociations en matière climatiques. Et surtout le couple Chine / Etats-Unis a, une fois encore, démontré sa puissance dans une étrange relation de compétition/complémentarité. La lettre d’intention des deux pays datant de juillet dernier et consacrée aux fondements d’une coopération sur le changement climatique, l’énergie et l’environnement, indique clairement les voies et moyens de leur politique commune : le développement de coopérations financières et de recherche afin de faire émerger des innovations qui seront soutenues par la dimension respective de leurs marchés et qui permettront de créer les bases d’une nouvelle économie à faible émission de carbone. Nous sommes loin de la vision réglementaire européenne et de ses objectifs chiffrés, énoncés sans que l’on sache vraiment comment nous pourrons éventuellement les atteindre.
Le défi pour l’Union européenne est immense. Serons-nous les spectateurs d’un nouveau monde qui se créera sans nous, fondé sur un investissement énorme de recherche et soutenu par la taille des nouveaux marchés, ou serons-nous des acteurs de cette nouvelle renaissance où nous pourrions apporter, outre nos moyens, nos compétences et nos savoirs, la définition d’une société ordonnée à la dignité de la personne humaine, ce qui fut, naguère, quand l’Europe avait encore une âme, sa mission dans le vaste monde.
Stéphane Buffetaut est premier vice-président du CNI, président de l’Observatoire Européen du Développement Durable, membre du Conseil Economique Européen et membre de la délégation de l’Union Européenne à Copenhague
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