par Jean-Yves Naudet
Le pape Benoît XVI vient de rendre publique une « encyclique sociale
» (Caritas in veritate) le 7 juillet. Une encyclique sociale, c’est une
lettre circulaire, portant sur les questions économiques : c’est donc
un texte qui intéresse tout le monde (il est d’ailleurs adressé « à
tous les hommes de bonne volonté » et donc pas uniquement aux croyants,
car, au-delà du titre latin, le sous titre est explicite : « sur le
développement humain intégral ». Tous les peuples, à commencer par ceux
qui se développent, sont concernés. Bien sur, c’est un texte émanant
d’une autorité religieuse, mais on sait bien que le point de vue des «
autorités morales » influence beaucoup de gens et pas seulement les
croyants. S’il parle le langage de la foi, il utilise aussi, comme dans
toutes les grandes traditions religieuses, celui de la raison,
accessible à tous.
Dans cet ensemble très riche de 140 pages, denses et souvent
philosophiques, beaucoup d’éléments intéressent toux ceux qui veulent
défendre la paix et la liberté. D’ailleurs, l’un des prédécesseurs de
Benoit XVI, Paul VI, affirmait déjà que « le développement est le
nouveau nom de la paix » : sans développement, la paix ne sera pas
durablement assurée. Après tout, Montesquieu avait déjà expliqué que le
commerce, facteur de progrès économique, était aussi facteur de paix.
De nombreux passages portent sur la mondialisation et sur le
développement et le pape prend soin de déclarer (§17) que « le
développement intégral suppose la liberté responsable de la personne et
des peuples : aucune structure ne peut garantir ce développement en
dehors et au dessus de la responsabilité humaine ». Cela ne signifie
pas que les institutions soient indifférentes et l’Eglise catholique a
toujours défendu, dans des conditions bien précises, la propriété, le
marché, l’échange, etc. Mais sans liberté ni responsabilité, l’homme
lui-même ne peut se développer « intégralement ».
La mondialisation est-elle, comme certains le suggèrent, le mal
absolu et chacun doit-il rester enfermé dans ses frontières ? « On
relève parfois des attitudes fatalistes à l’égard de la mondialisation
(…) Il est bon de rappeler à ce propos que la mondialisation doit être
certainement comprise comme un processus socio-économique, mais ce
n’est pas là son unique dimension. Derrière le processus le plus
visible, se trouve la réalité d’une humanité qui devient de plus en
plus interconnectée. Celle-ci est constituée de personnes et de peuples
auxquels ce processus doit être utile et dont il doit servir le
développement » (§42) : la mondialisation, ce ne sont pas seulement des
échanges de produits, ce sont des hommes et des cultures qui se
rencontrent, nouveau facteur de paix. « La vérité de la mondialisation
comme processus et sa nature éthique fondamentale dérivent de l’unité
de la famille humaine et de son développement dans le bien » (§42).
Bien sûr « la mondialisation, a priori, n’est ni bonne, ni mauvaise.
Elle sera ce que les personnes en feront. Nous ne devons pas en être
les victimes, mais les protagonistes (…) S’y opposer aveuglement serait
une attitude erronée, préconçue, qui finirait par ignorer un processus
porteur d’aspects positifs, avec le risque de perdre une grande
occasion de saisir les multiples opportunités de développement qu’elle
offre » (§42). Bien entendu, et c’est son rôle, le pape demande aussi
de « corriger les dysfonctionnements » - et il y en a toujours, on l’a
bien vu avec la crise actuelle - et appelle à un comportement éthique
des hommes dans la mondialisation, comme dans toute activité
économique. Au fond, puisque le terme est à la mode, il appelle non à «
moraliser le capitalisme », mais à moraliser les hommes qui agissent au
sein du capitalisme, c'est-à-dire de l’économie de marché : ce sont les
hommes qui sont justes ou injustes, honnêtes ou malhonnêtes. Qu’un chef
religieux appelle à un sursaut éthique ne surprendra pas.
Certes, le pape affirme que l’Eglise n’a pas de solutions techniques
à proposer : ce n’est pas son rôle et elle donne des orientations
générales et morales de comportement. Pourtant, il peut être très
précis quand il le faut : « Il faut souligner encore que nombreux sont
ceux qui ont longtemps craint la concurrence des importations de
produits, en général agricoles, provenant des pays économiquement
pauvres. Il ne faut cependant pas oublier que pour ces pays, la
possibilité de commercialiser ces produits signifie souvent assurer
leur survie à court et à long terme » (§ 58). Mieux encore, parmi les
causes qui ont maintenu certains pays dans une situation de misère, il
y a « les tarifs douaniers élevés imposés par les pays économiquement
développés et qui empêchent encore aujourd’hui les produits provenant
des pays pauvres d’entrer sur leurs marchés « (§ 33).
Bien entendu, Benoît XVI aborde bien d’autres domaines importants
pour l’économie. On notera l’idée qu’au-delà de « l’entrepreneur privé
de type capitaliste », le Pape explique que « l’entreprenariat a une
signification humaine » et donc qu’il « est bon qu’à tout travailleur
soit offerte la possibilité d’apporter sa contribution propre de sorte
que lui-même sache travailler à son compte « (§41) : tous
entrepreneurs, en quelque sorte, ou, en tous cas, tous avec une
mentalité d’entrepreneurs.
Naturellement, pour un religieux, l’essentiel du message est de
nature éthique : l’économie, faisant partie de l’action humaine, doit
passer par « la liberté responsable de la personne », ce qui est le
cœur de toute éthique.
Jean-Yves Naudet
Professeur d’économie à l’Université Paul Cézanne (Aix-Marseille III)
Directeur du Centre de recherches en éthique économique
Source.
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