par Yves Meaudre, directeur général d’Enfants du Mékong
Tourisme sexuel : « Vae pueris pauperibus ! »
Responsables d’une ONG qui défend depuis cinquante ans l’enfance
souffrante en Asie, association ayant reçu le Prix des droits de
l’homme de la République française pour l’action que nous menons auprès
de 60.000 enfants, il nous est impossible de ne pas réagir face à la
polémique qui met en cause un ministre de la République.
Nous savons, pour être quotidiennement à leurs côtés, que des jeunes
peuvent vivre heureux et construire leur personnalité d’adultes malgré
des blessures physiques, comme celles provoquées par des mines dont ils
ont pu être les victimes dans les zones où nous travaillons. En
revanche, nous savons que les blessures psychologiques et morales sont
irrémédiables lorsque celles-ci sont le fait d’un viol, d’un abus ou de
la prostitution.
Notre expérience actuelle et ancienne en
Thaïlande, au Cambodge et aux Philippines nous autorise à dénoncer haut
et fort toute tentative de vulgarisation et de banalisation de la
pratique de la pédophilie et de la prostitution des jeunes gens. C’est
un crime insoutenable, dont les conséquences sont terribles.
Il
est impossible pour nous d’accepter qu’un ministre de la France puisse
reconnaître avoir eu des relations sexuelles avec des « gosses » sans
qu’il ne soit obligé de quitter ses fonctions [1]. Certes, l'ambiguïté
savamment dosée sur l'âge de ces « gosses » nous interdit de penser
qu'il s'agisse d'enfants mineurs : pour Frédéric Mitterrand, un « gosse
» ou un « boxeur de quarante ans », c'est pareil... L'essentiel n'est
pas là. Quel que soit l'âge de ces « gosses », le recours à la
prostitution fait toujours des victimes. Et quel que soit leur âge, les
prostitué(e)s, esclaves exploités, sont toujours des enfants. Qu'on ne
viennent pas nous dire qu'ils sont « consentants ».
S’abriter
derrière son statut d’homme politique ou d’écrivain pour revendiquer
l’impunité a quelque chose de monstrueux quand on connaît la souffrance
de ces victimes. Comment peut-on prendre M. Mitterrand au sérieux quand
il condamne le tourisme sexuel en présentant sa « confession » comme la
« sublimation » littéraire de ses actes ? Comment un Premier ministre
peut-il accepter de couvrir un membre de son gouvernement quand il est
lui-même père de famille ? Et si son enfant en avait été la victime ?
Les jeunes gens d’Asie sont ils de moindre valeur ?
Qu’on
dénonce une manipulation politique, on ne voit pas où est le problème.
Car enfin, qu’un parti d’opposition stigmatise des pratiques odieuses
reconnues par un ministre qui considère un cinéaste accusé de viol sur
une mineure comme « une histoire qui n’a pas de sens », en quoi cela
innocenterait le coupable et relativiserait le crime ? La question a
transcendé fort heureusement les partis. Que Manuel Valls ou qu’Arnaud
Montebourg aient réagi sainement rassure sur l’état mental des
parlementaires, quelle que soit leur appartenance politique. Ils
réagissent en hommes et en pères. Ils refusent de se faire piéger et
constatent les faits. Et les faits sont odieux et ils les considèrent
comme tels. Comme nous, experts, nous les considérons insupportables.
La politique de la France
Il
y a dans la relativisation des faits avoués quelque chose
d’insoutenable. Admettons que M. Mitterrand ne soit pas pédophile, et
rien formellement ne le prouve en dépit de ses ambiguïtés. Mais
l'étalage public, plus ou moins littéraire, plus ou moins complaisant,
et même plus ou moins regretté, de ses activités nocturnes à Bangkok
sont indéfendables. Le crédit de la France dans la lutte contre le
tourisme sexuel en sort particulièrement affaibli.
La France a
signé la chartre des droits de l’enfant où le tourisme sexuel est
expressément condamné. Elle a élaboré le droit de suite sans contrainte
de frontières pour les crimes sur enfants. Comment ces finasseries sur
l'âge des « gosses » utilisés (c'est le mot) par une personnalité
devenue ministre renforceront son autorité ?
Avec beaucoup de
facilité, nos dirigeants jugent et donnent des leçons au nom des droits
de l’homme à de nombreux pays du Sud pour leur laxisme en matière de
tourisme sexuel et d’absence de protection de l’enfance. Pays du Sud
qui ont souvent plus le sens de la dignité de l’enfant et de la famille
que nous-mêmes !
L’État français perd la face, pris en flagrant délit
d’incohérence, en gardant au sein de son gouvernement un homme qui
reconnaît avoir eu des relations sexuelles tarifées « avec des gosses
».
Enfin
n’y a-t-il pas là l’expression d’un mépris raciste
qui accréditerait l’idée que les « gosses » thaïlandais sont «
consommables » et que les jeunes Français devraient être protégés ? Les
pays concernés ne peuvent qu’être scandalisés de voir considérer leurs
jeunes gens comme des produits de consommation.
Les princes de la République issus de la bourgeoisie la plus protégée sont-ils donc au dessus des lois ? On
se souvient du départ de ministres ou de haut-fonctionnaires effectué
dans l’heure alors qu’ils n’étaient l’objet d’aucune infraction à la
loi, mais accusés d’avoir loué des appartements trop grands. Cela
laisse songeur à côté de ce qui est en cause. Ces serviteurs de l’État
authentiques avaient démissionné pour ne pas gêner la politique de la
France. Leur attitude avait révélé un vrai sens de l’honneur.
Dans
quel monde de voyous sommes-nous en train de puiser nos élites ?
L’avenir des pauvres et des enfants pauvres est de plus en plus
terrifiant. Notre propre action risque d’être de plus en plus
impossible. « Vae pueris pauperibus ! » La décadence au sommet de
l’État fait le lit des dictatures : c’est la leçon de l’Histoire.
Source : Liberté Politique.
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