A l'approche des élections, il convient de préciser les éléments fondateurs de l'Union Européenne. Je commencerais par son histoire, pour poser les jalons nécessaires à sa compréhension.
Les origines
L'union Européenne se fonde sur la nécessité de construire
la paix en réconciliant les ennemis d'hier face au communisme. Puisant ses
racines dans le plan Marshall, elle connais une première esquisse avec la fondation du Conseil de l'Europe, indépendant de l'UE, qui d'ailleurs songe actuellement à intégrer les pays du Maghreb. La première réalisation de l'Union Européenne, qui ne porte pas encore ce nom, est la CECA, communauté européenne du charbon
et de l'acier en 1951. Malgré un premier aspect économique, la CECA est bel et bien un projet
politique. Le projet prévoit en effet la mutualisation des moyens de production des pays signataires. Derrière l'industrie allemande, il y a l'industrie d'armement, qui peut
renaître de ses cendres. Doit-on ressusciter l'industrie allemande, au risque de voir ce pays redevenir une puissance menaçante ? De fait, la guerre froide précipite le débat et
contraint les opposants à signer la CECA.
Loin d'être un
credo européen, la CECA est surtout un moyen de rapprocher un peu plus les ennemis d'hier face au
communisme. La paix ? Soit, seulement si on prépare la guerre. Mais le projet de Robert Schumann est plus étendu.
A cette époque, le développement économique correspond avec
la consolidation de la démocratie. Le développement économique fut pendant 30
ans l'argument principal pour la démocratie occidentale. Il en est une
condition importante. Mettre sous tutelle européenne le charbon et l'acier est
le premier acte de concession nationale à la démocratie européenne. Qui
contrôle cette tutelle ? La Haute Autorité, qui
deviendra la Commission Européenne,
assistée du Conseil des ministres. Indépendante, elle garantit le respect des
accords signés entre les 6 pays fondateurs de la CECA : RFA, France, Italie, Belgique,
Luxembourg et Pays-Bas. Cette Haute Autorité vise le pragmatisme politique. Ce sont
des techniciens et des ingénieurs qui la composent. La compétence est donc au
cœur des nominations. Dès le départ, la
Commission Européenne échappe à tout
contrôle du peuple alors qu'elle prend de plus en plus de pouvoir. Quant au
Conseil des ministres, il rassemble les ministres de l'industrie des pays
concernés. A cette époque, c'est le Conseil des ministres qui a le dernier mot.
Mais le déni de démocratie est présent en germe : les techniciens sont au pouvoir.Il existe bien un comité rassemblant les partenaires sociaux
pour donner naissance à un début de droit social. Il y a aussi une assemblée de la CECA composée de
parlementaires qui ne disposent que d'un pouvoir consultatif.
Il en résulte un contraste important : l'Europe des débuts a
une culture technicienne. Les gouvernements ont le dernier
mot, souvent celui des techniciens et des ingénieurs de la Haute Autorité. Au cœur des économies d'alors, le charbon et l'acier étaient
les moteurs de la croissance. Concéder la gestion de ces ressources constituait
un acte de confiance, mais aussi un abandon d'une partie importante de
souveraineté nationale. Remplacés par le pétrole, le charbon et l'acier
s'effacèrent progressivement, entraînant la désuétude de la CECA. Le processus de spill over, qui consiste à concéder à la commission de plus en plus de pouvoir, était engagé.
L'échec de la CED
Dans le cadre de la guerre froide, l'embryon d'Europe doit
assurer sont autonomie militaire. Le traité de Paris en 1952 prévoit ainsi la
fondation de la Communauté Européenne de Défense. Elle permet de résoudre le problème du réarmement allemand, en
cédant sur un certain nombre de contraintes. Tous les pays ratifient à
l'exception de la France,
qui refuse en 1954, sous le gouvernement Mendès-France. Celle-ci sort tout
juste de la guerre d'Indochine et commence la guerre d'Algérie ; elle refuse de
lier son armée à d'autres pays européens.Elle refuse de céder un pan de souveraineté.
Le refus de ratifier la
CED marque le coup d'arrêt de la construction politique
européenne. La France ne
cède pas sur la concession d'un droit régalien comme l'armée alors qu'elle en a immensément besoin. Si les projets européens sont politiques, la construction de
l'Union Européenne est essentiellement économique. Après l'échec de la CED, seule l'économie reste une voie
ouverte de progrès. L'Europe se tourne donc vers l'économie en lançant les
négociations pour la signature du traité de Rome. L'Angleterre en fait partie,
mais elle se retire en 1956, lors de la conférence de Venise, car elle refuse
la monnaie commune et la politique monétaire commune. Il n'est pas non plus
exclu que le préambule du traité de Rome ait agacé les Anglais : celui-ci
prévoyait la construction d'une Europe fédérale.
Le traité de Rome
Signé en 1957, le traité de Rome est essentiellement
économique. Il cherche à réaliser l'union douanière, l'union économique et la
politique sociale. Le marché commun est le produit principal de ce traité, avec l'Euratom et la communauté économique européenne. Il
est caractérisé par la suppression des droits de douane entre les pays
signataires, et la fixation d'un tarif extérieur commun. Des impératifs
d'harmonisation scolaire ou sociale y sont
également signés.
Outre son caractère économique, le traité de Rome fixe les
institutions qui gouvernent encore l'actuelle Union Européenne :
-
La commission européenne, héritière de la Haute Autorité, composée de commissaires nommés par le gouvernement
national et par l'opposition. Au début, la
France, l'Allemagne et l'Italie nomment deux commissaires
chacun, contre un pour les pays du Bénélux. Tout est fait pour qu'ils soient
détachés de toute vision politique. Ils doivent représenter l'intérêt
communautaire.
-
Le conseil des ministres, qui rassemblent
les ministres par domaine
-
L'Assemblée des parlementaires est une
délégation des parlements nationaux. Elle n'a qu'un rôle consultatif. Elle peut
néanmoins renverser la
Commission et voter le budget.
-
La cour de justice
-
Le comité économique et social rassemble
les partenaires sociaux (syndicats employeurs, syndicats employés et autres…).
Il n'a qu'un pouvoir consultatif.
Le traité de Rome est un succès : les échanges
s'intensifient, ils sont multipliés par six dans les années 1960. La croissance
dégagée est plus importante qu'aux USA et qu'en Angleterre.
Dans l'euphorie, personne ne voit pas les nuages qui
s'amoncellent. La politique agricole commune, PAC, est créée en 1962. En 1965,
elle est en crise de surproduction. Il aurait peut-être fallu spécialiser la
production en fonction des régions, mais la
France refuse pour protéger sa propre agriculture et son
propre savoir-faire. De plus, plus les sociétés sont interdépendantes, plus elles
ont besoin d'instances régulatrices internationales. Or De Gaulle refuse tout
approfondissement politique de l'espace communautaire.
Cependant que les échanges s'intensifient, les marchés se
referment de plus en plus. Les Etats cherchent à préserver leurs spécificités
ou ne trouvent pas les moyens d'harmoniser leurs normes sur celles des autres.
La politique économique commune est donc inexistante. Par exemple, les
différences sont flagrantes dans le mode de financement de l'économie. En
France, les investissements sont financés par le crédit bancaire ; en
Allemagne, ils le sont par le marché. Ce type de dysfonctionnement empêche la
mise en place de la monnaie unique. De même, dans les pays nordique, la fiscalité
est directe. En France, elle est indirecte. Les intérêts sont alors si
divergents que la commission ne peut répondre efficacement aux crises de 1971,
1973 ou 1979.
Les élargissements
Subissant l'affaiblissement du Commonwealth et l'échec de
l'AELE, le Royaume Uni engage des négociations pour intégrer l'Union
Européenne, comprenant bien qu'elle n'est pas politique, mais économique. Il
est refusé en 1961 et en 1964 par le général De Gaulle, qui y voit le
"cheval de Troyes des Etats-Unis". Mais il adhère en 1972, en même
temps que le Danemark et l'Irlande, alors crise de 1971 éclate tout juste.
L'intégration de ces pays commence mal. Le Royaume uni paye cette intégration.
Il ne profite donc pas des profits de l'Union Européenne.
A cette époque, un changement de génération intervient. Les
nouveaux politiques estiment que l'économie prime sur le politique. On créée
donc le conseil européen pour controler la commission et assumer les décisions finales ; le suffrage universel est instauré ; on solidarise
les monnaies pour former l'ecu. Ce changement a lieu en décembre 1974, au
sommet de Paris. Des sommets semblables réunissaient temporairement les chefs
d'Etats et de gouvernements de manière informelle. Le duo Giscard-Schmidt
tourne la page de l'après-guerre. De nouvelles décisions sont prises :
♦ Élection du parlement européen au suffrage universel
♦ Création du conseil européen, instance suprême non spécialisée (comme
pouvait l'être le conseil des ministres). On institutionnalise les sommets.
♦ Création d'un conseil des ministres des affaires étrangères. C'est là
que l'on situe le début d'une culture politique européenne.
La Commission représente les pays
européens sur la scène commerciale internationale. Elle ouvre alors des
ambassades dans tous les pays du monde. Depuis, les adhésions sont utilisées comme un moyen de
renforcer la démocratie occidentale. En 1981, la Grèce intègre après avoir connu la
dictature des colonels. En 1986, l'Espagne
et la Portugal intègrent après avoir connus les dictatures de Franco et Salazar. La démocratie
est sur toutes les lèvres, mais elle reste absente du principal organisme qui
la promeut, l'union européenne. Les contestations politiques émergent ; les
parlementaires réclament plus de pouvoir, autre que le pouvoir consultatif. A
la suite du rapport Spidelli, qui réclame une égalité de pouvoir avec la
commission européenne, les gouvernements s'opposent aux députés européens, de
peur de s'engager dans la voie du fédéralisme. Un parlement plus puissant,
c'est le fédéralisme assuré, renforcé par les rentes de position qu'occasionne
inéluctablement ce développement bureaucratique.
Un autre type de contestation apparaît : la
contre-démocratie. Elle souligne par la dérision ou par l'analyse les
contradictions de l'union européenne. Pourquoi existe-t-il encore des douaniers
nationaux alors que l'on a réalisé l'union douanière ? Les mises aux normes
coûtent chères et compromettent l'optimisme affiché des mesures de la
commission. Les citoyens pensent au niveau national quand d'autres, à
l'intérieur ou l'extérieur de l'union, pense en termes communautaires. La
commission ne prétend pas détruire les nations, mais elle prend une part de
plus en plus importante dans la politique nationale. Enfin, dès les années
1980, la mondialisation s'accentue, poussant l'union à compromettre ses propres
frontières. L'union s'est fondée sur la prospérité d'un petit nombre de pays,
unis pour faire face aux blocs. La mondialisation compromet cette unité,
faisant exploser les diverses définitions que l'on donne à l'Europe. La
non-participation à l'union devient intéressante. On parle de plus en plus du "coût de la non-Europe".
L'acte unique
européen.
Il a pour but de relancer l'union sur de nouvelles bases. Il
faut prendre en compte les réalités politiques avant les réalités économiques.
C'est la logique qui domine lors de l'intégration de la Grèce, de l'Espagne et du Portugal. De
lourdes procédures, toujours trop contraignantes pour les candidats, sont mises
en place. Enfin, les acteurs économiques mettent en lumière les avantages de
l'indépendance économique. Ces problèmes vont trouver une résolution avec l'acte unique
européen. Signé en 1986, appliqué en 1993,
l'acte unique redistribue les rôles : le parlement peut
amender les textes de la commission. Dans ce dernier cas, la commission peut
représenter un texte. En cas de nouveau rejet, la majorité qualifiée du conseil
décide. L'acte unique impose également le marché unique, en lieu et place du
marché commun. Le marché unique implique le principe de la reconnaissance
mutuelle, qui n'existe pas dans le marché commun. La reconnaissance mutuelle consiste en
la reconnaissance d'une norme nationale pour l'ensemble des pays de l'union, si
le droit communautaire ne dit rien. Les entreprises ne peuvent plus se réfugier
derrière des normes nationales pour protéger leurs parts de marché. Dans le
marché commun, une entreprise non-européenne pouvait pénétrer les marchés
européens en investissant le pays le plus favorables. Les Coréens ont vendu
leurs jouets en Europe en commençant par l'Espagne, pays où les barrières
tarifaires sur les jouets étaient les plus faibles. Le marché unique permet de
déterminer des normes pour lutter contre ce type de stratégie tout en
favorisant des produits comme le foie gras ou les salons de coiffure.
Mais un autre principe vient compromettre ce bel édifice :
celui de la nation la plus favorisée. Il désigne le fait d'adopter les normes
d'un pays qui présente les avantages les plus grands. Le risque est donc
l'harmonisation par le bas, que n'empêche pas le marché unique.
L'union européenne
face à l'effondrement de l'union soviétique
La chute du mur de Berlin change la donne européenne :
l'union européenne perd sa principale raison d'être, entre les deux blocs. Le
doute émerge. Faut-il subir ou accompagner la réunification allemande ?
Certains souhaitaient intégrer l'ex-RDA comme 13e Etat de l'union
européenne. Pour l'Allemagne, il est hors de question de renoncer à intégrer la RDA.Les pays européens, en particulier la France, cédèrent à la condition
d'engager la marché vers la monnaie unique, politique qui empêcherait
l'Allemagne d'imposer sa politique monétaire à toute l'Europe. Pour faire bonne
mesure, les Allemands répondent par l'exigence d'unification politique.
Le traité de Maastricht est le produit de ces tractations.
Celui-ci définit une citoyenneté européenne, base d'un fédéralisme européen.
Aujourd'hui, un étranger peut être élu aux élections locales et devenir adjoint
au maire sans pratiquer la langue du pays où il est élu. La libre circulation est un principe fort, refondé et
réaffirmé. On suppose que la libre circulation des juges et des policiers
contreviendra à la libre circulation des criminels et de trafiquants.
Approfondissement ou
élargissement ?
Le choix divise encore : doit-on élargir l'union ou
l'approfondir ? Faut-il privilégier la progression du fédéralisme ou
l'extension territoriale ? Les pays candidats pressent l'union d'accepter les
négociations d'adhésion. Mais le traité de Maastricht privilégie l'approfondissement.
Dans ce domaine, il reste lettre morte. La logique économique l'a emporté. Ne
pouvant affirmer clairement le fédéralisme, de peur de provoquer une vague de
protestations, la commission n'avait aucun argument à opposer à des pays
affichant des taux de croissance à faire rêver. Dès 1993, les négociations
d'adhésion de certains pays d'Europe centrale et orientale ont été engagées. Il
leur fallut respecter les critères de Copenhague : les droits de l'homme et la
démocratie ; la volonté d'intégrer la législation européenne ; une économie de
marché viable. Tous les six mois, la commission vérifie les avancées du pays
candidat.
Plus tard, en 2007,la
Roumanie et la
Bulgarie intègrent alors que le traité sur la constitution
européenne et le traité de Lisbonne sont des échecs. Ces pays intègrent alors
que le traité de Nice, qui règlemente le fonctionnement des institutions
européennes, est également un échec. Ces pays intègrent alors qu'un autre,
l'Irlande, qui n'avait jamais rien refusé à l'union, excepté sur l'avortement,
rejette soudainement l'espace communautaire. Enfin, ces pays intègrent trop
tôt, comme le reconnaissaient certains pontes eurocrates : la corruption,
l'injustice et les trafics en tout genre y sont encore monnaie commune. Les normes d'intégration sont abaissées pour plaire à la Turquie ; l'efficience économique européenne est compromise par la crise ; la démographie est catastrophique. Les élections européenne devraient sanctionner une impotence marqué dans la résolution des problèmes majeurs qui se posent à l'union européenne.
Didyme
Les commentaires récents